Cent cinquante ans après sa naissance, ses textes n’ont pas pris une ride : commencée au début du XXe siècle, l’œuvre romanesque de Colette, empreinte d’héroïnes en quête d’émancipation, résonne «plus que jamais avec notre époque».
Plus on la relit, plus on est persuadé de cette atemporalité et surtout de sa modernité», assure Dominique Bréchemier, professeure de lettres et membre de la Société des amis de Colette. Ce cercle littéraire – qui compte plus de membres que celui de Marcel Proust, comme il tient à le souligner – regrettait début janvier qu’aucune exposition d’ampleur ne lui soit consacrée à Paris ou dans une grande ville de France à l’heure de fêter l’anniversaire de sa naissance.
Relations mère-fille, maternité, homosexualité, avortement… et même ménopause : les écrits avant-gardistes de Colette résonnent «plus que jamais avec notre époque», souligne Diana Holmes, professeure de français à l’Université de Leeds (Royaume-Uni).
Signe de cette modernité? Deux textes de l’écrivaine, décédée en 1954 à Paris, seront pour la première fois au programme du baccalauréat cette année : Sido (1930), récit autobiographique sur sa mère, et Les Vrilles de la vigne (1908) où elle revient sur le village de son enfance.
Relatif oubli en France
Dans le monde anglo-saxon, où elle est étudiée depuis les années 1970 dans les cours de français et d’études féministes, deux nouvelles traductions de ses romans Chéri (1920) – sans doute le plus connu – et La Fin de chéri (1926) ont été récemment publiés.
Pourtant, l’œuvre de Colette – née Sidonie-Gabrielle Colette le 28 janvier 1873 en Bourgogne – est relativement tombée dans l’oubli en France ces dernières années, même si l’écrivaine a été la première femme à avoir reçu des funérailles nationales.
Romancière, journaliste, danseuse de cabaret, comédienne… Colette, qui a eu trois maris, de nombreux amants – dont des femmes – n’a eu de cesse de clamer sa liberté. Ses premiers écrits, la collection des Claudine, initiée par Claudine à l’école (1900), elle ne les signe pas sous son nom, mais sous celui de son premier mari, Henry Gauthier-Villars, dit Willy. Le cycle prend fin avec La Retraite sentimentale (1907) qu’elle signe Colette Willy.
À l’étranger, ses livres, qui sont largement inspirés de sa vie, sont connus grâce au 7e art qui s’est, à plusieurs reprises, emparé de l’œuvre de la femme de lettres. Le premier est un classique du cinéma américain : Gigi (1958) de Vincente Minnelli, adaptation de sa nouvelle éponyme, qui a reçu neuf Oscars.
Une vie haute en couleur faite de transgressions
En 2009 sort Chéri, autre adaptation avec Michelle Pfeiffer. Mais c’est le film Colette avec Keira Knightley qui permet de toucher davantage de nouvelles audiences.
«Pour le public anglo-saxon, c’est la vie de Colette qui intéresse», assure Kathleen Antonioli, professeure associée à la Kansas State University. «Ce qui fascine, c’est son histoire, sa vie haute en couleur faite de transgressions», complète Diana Holmes.
À chaque fois, l’aspect féministe de l’œuvre et de la vie de Colette est mis en avant. Un terme qu’elle a pourtant rejeté, estimant, dans une phrase passée à la postérité, que les suffragettes méritaient «le fouet et le harem». Alors, plutôt féministe ou antiféministe? «Elle n’aura eu de cesse au cours de sa vie de poser des actes pour la liberté des femmes. Laissons-lui sa part de complexité», plaide Dominique Bréchemier.
Pour Diana Holmes, ce positionnement antiféministe, relève davantage de la «posture» que d’une prise de position sincère. «Cela faisait partie de son image publique», insiste-t-elle. «Il y a chez Colette une grande habileté», abonde Kathleen Antonioli, qui rappelle que l’auteure, contrairement à Marcel Proust ou encore Gustave Flaubert, avait «besoin de l’argent de ses livres» pour assurer son indépendance. «C’est quelqu’un qui avait conscience que son image était devenue une marque qu’il fallait protéger.»
Cinq choses et autres sur Colette
«Nègre» de son premier mari
En 1893, Sidonie-Gabrielle Colette épouse, sans dot, Henry Gauthier-Villars, dit «Willy», critique musical très en vue à Paris de 14 ans son aîné, dont elle tombe amoureuse. Ce libertin l’emmène dans les salons fréquentés par Proust, Debussy, Guitry… On s’y moque gentiment de ses «r» roulés de Bourguignonne et de ses deux nattes blondes d’«1 m 58». «Vous devriez jeter sur le papier vos souvenirs», l’encourage son pygmalion, à la tête d’un atelier d’écriture.
En 1900 paraît Claudine à l’école signé Willy. En ajoutant des grivoiseries, il fait exploser les ventes. De 1901 à 1903, suivent trois autres Claudine. Colette, qui s’est installée chez son amante Mathilde de Morny, dit «Missy», réclame le divorce quand elle apprend que son mari a vendu les droits de ses œuvres. Elle règlera ses comptes dans Mes apprentissages (1935).
Pantomime et music-hall
En 1905, Colette trouve une stratégie de survie : elle se lie avec les maîtresses de Willy, prend des amantes, se muscle et apprend la danse et la pantomime. D’abord mime dans les milieux libertins, elle fait sa première représentation en 1906. Elle parcourt bientôt la province, puis la Belgique et fait scandale. Tantôt nue sous des peaux de bêtes, tantôt étreignant «Missy» sur scène au Moulin rouge, elle dévoile même ses seins. De ces apprentissages, elle tire La Vagabonde (1910) et L’Envers du music-hall (1918). Elle quitte la scène en 1912 après son deuxième mariage.
Trois maris, des amants et amantes
Avec son deuxième mari, Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du Matin, elle devient reporter avant de diriger les pages littéraires. En 1913 naît Colette, son unique fille. Jouvenel la délaissant, Colette, bientôt la cinquantaine, séduit son beau-fils de 17 ans. Puis elle rencontre Maurice Goudeket, homme d’affaires et journaliste, qu’elle épouse en 1935.
«Joyeuse ogresse» pour François Mauriac, Colette croque à pleines dents la nature, les hommes, les femmes. Si dans Claudine à l’école, les épisodes lesbiens sont commandés par Willy, c’est Colette qui transpose sa première expérience homosexuelle dans Claudine en ménage.
Première présidente du Goncourt
En 1945, Colette est internationalement reconnue : à 72 ans, elle entre au jury du Goncourt. Après Judith Gautier en 1910, elle est la deuxième femme à intégrer ce cercle masculin. Elle remplace Jean de La Varende qui démissionne pour ses écrits collaborationnistes. C’est aussi le cas de Colette qui chronique sous l’Occupation pour La Gerbe ou Signal. Protégée d’Aragon, elle échappe à l’épuration. Elle préside le Goncourt de 1949 à 1954.
Premières obsèques nationales pour une femme
Progressivement paralysée dans son lit par l’arthrite, Colette meurt à 81 ans, le 3 août 1954 à Paris. L’Église lui refuse des funérailles. Mais l’État organise des obsèques nationales, les premières pour une femme, au Palais-royal. Elle est inhumée au Père-Lachaise.