Jouée en ce moment au TNL, la pièce Codename Ashcan traite du nazisme avec réussite.
Un spectacle de plus de deux heures sur des prisonniers nazis et leurs geôliers américains, soyons honnête, sur le papier, ça n’a pas l’air très folichon, d’autant que les bancs du TNL ne sont pas vraiment réputés pour leur confort. Mais voilà, comme dans le milieu sportif, ce qu’il y a sur le papier c’est une chose, ce qu’on voit sur le terrain en est une autre.
Car ce Codename Ashcan , une création mondiale sur le camp de prisonniers et d’interrogatoire pour haut dignitaires nazis à Mondorf-les-Bains, première étape qui donnera naissance au procès de Nuremberg, est une réussite. Écrite par Ouri Wesloy, adaptée et mise en scène par Anne Simon, la pièce plonge d’entrée le spectateur dans l’ancien Palace Hôtel du parc de la cité thermale grand-ducale. Là, devant une grande tablée et entouré de quelque chaises, attend un officier des renseignements américains.
Rapidement arrivent Hans Frank, Franz von Papen, Wilhelm Keitel, Robert Ley, Julius Streicher, Karl Dönitz et Walter Warlimont. Ils sont tous militaires de haut rang ou hauts dignitaires du parti nazi. Chacun se présente au public, dans de rapides apartés, puis tous font bloc contre les responsables du camp pour faire respecter leur rang militaire, pour sauvegarder certains de leurs anciens privilèges… Eux, qui ont servi un des pires régimes de l’histoire, font même appel à la Convention de Genève.
Là arrive Hermann Göring avec son bâton ridicule de Reichsmarschall. Jovial, souriant, intelligent, «baroque» diront même les Américains… il s’impose rapidement comme un prisonnier à part, que même les officiers du renseignement regardent avec un grand respect. En arrivant, il tente même de proposer une alliance à Eisenhower, commandant en chef des Forces alliées en Europe, contre le communisme. Une de ses nombreuses fanfaronnades!
Au départ, il n’est pas encore question de Nuremberg, le travail des Américains consiste à tirer de tous ces hommes le plus d’informations possibles sur le fonctionnement du Troisième Reich. Et pour ça, ils ont besoin de la collaboration de leurs anciens ennemis. Alors il va falloir savoir jouer de la carotte et du bâton, entre le respect des règles demandé par le dirigeant du camp de prisonniers et le besoin de créer un climat de confiance pour les officiers qui doivent mener les interrogatoires.
«Make Germany great»
En tout, ce sont 16 personnages qui évoluent sur le très beau plateau imaginé par Anouk Schiltz. Alors si la metteuse en scène n’arrive pas à éviter de temps en temps une certaine cacophonie, celle-ci demeure malgré tout assez bien maîtrisée. Même réussite au niveau de la tonalité de la pièce qui parvient à faire cohabiter une grande solennité, voire une martialité, et un aspect clairement grand-guignolesque, qui offre quelques éclats de rire dans ce récit pourtant très grave – que ce soit dans la prononciation de la ville de Mondorf-les-Bains ou encore dans la manière dont Göring et Dönitz, désignés à tour de rôle comme les successeurs de Hitler à la tête du Troisième Reich, tentent de se présenter comme le favori de l’ancien Führer.
Un récit qui, par contre, ne juge pas. Il présente. Après tout, certains CV se suffisent à eux-mêmes! La pièce est par ailleurs magnifiquement bien interprétée, prenante. Elle propose quelques belles réflexions : un ancien ambassadeur nazi est-il un prisonnier de guerre ou civil? Les nazis ont-ils commis des crimes de guerre ou contre l’humanité? Et puis, il y a ce nazi qui se plaint du fait que les Américains leur reprochent ce qu’ils ont fait aux juifs, alors qu’eux ont, selon lui, fait «la même chose avec leurs nègres et leurs indiens»!
Évidents aussi quelques beaux clins d’œil à notre société d’aujourd’hui, comme quand ce général explique, en anglais, que leur but était de «Make Germany great», ce qui n’est pas sans rappeler un certain homme orange dans une Maison-Blanche. Bim!
Bilingue allemand-anglais pour être au plus près de la réalité historique décrite, la pièce propose aussi des surtitrages dans l’autre langue, pour une meilleure compréhension pour les non polyglottes. Reste que ça va parfois très vite, ça fuse de tous les côtés et qu’il faut bien s’accrocher. Mais que les choses soient claires, même avec cette contrainte linguistique, ce Codename Ashcan vaut clairement la peine!
Pablo Chimienti
Théâtre national – Luxembourg. Mercredi 24 mai à 20 h. Puis les 26, 30 et 31 mai à 20 h. Infos sur le site www.tnl.lu