Le LARS, l’Association des réalisateurs et scénaristes luxembourgeois, a fêté ses 20 ans vendredi dernier. Interview avec son secrétaire général, Yann Tonnar, sur l’association, le milieu, mais aussi les polémiques de ces dernières semaines.
Le LARS a vingt ans. Comment vivez-vous ça?
Yann Tonnar : Ça fait plaisir. D’autant que, personnellement, je célèbre aussi un « anniversaire » puisque ça fait dix ans que je suis secrétaire général de l’association. Les dix premières années, le LARS était avant tout un réseau de networking où les réalisateurs pouvaient échanger entre eux, les dix dernières, on a voulu professionnaliser le tout et on est devenus une association de défense des intérêts des réalisateurs. Et on a bien travaillé. On est désormais un interlocuteur privilégié de tout le secteur. D’autant que, ce n’est pas juste le mérite de l’association, mais, il y a dix ans, quand on parlait de réalisateurs luxembourgeois, on parlait d’Andy Bausch, d’Andy Bausch et encore d’Andy Bausch. Bon, un tout petit peu aussi de Geneviève Mersch et éventuellement de Paul Kieffer, mais c’est tout. En dix ans, il y a toute une génération de nouveaux réalisateurs luxembourgeois qui sont arrivés : Laura Schroeder, Christophe Wagner, Felix Koch, Ady El Assal et plein d’autres. Toute une génération capable de faire des films intéressants.
Il y a vingt ans, c’était encore, presque, le début de la professionnalisation du secteur…
Oui… et l’industrie a été créée par le Film Fund et les producteurs. Pas par les auteurs.
C’est un problème?
Pas nécessairement. Mais du coup, l’industrie s’est créée sur les coproductions internationales. La création luxembourgeoise n’est venue que plus tard. Désormais, les auteurs grand-ducaux sont à l’honneur lors des annonces des aides allouées, mais il y a dix ans, il y avait quoi? Un ou deux longs métrages luxembourgeois soutenus par le Fond par an. Pas plus. L’année dernière, je crois qu’on était à dix longs métrages luxembourgeois. C’est un développement énorme. Il y a de plus en plus de réalisateurs et le Film Fund a soutenu ce développement. C’est bien d’avoir une industrie, mais il faut aussi créer un cinéma luxembourgeois.
Donc, ça va bien.
Il y a toujours des doléances, mais oui, ça va. Je pense qu’il n’y a nulle part en Europe où de jeunes réalisateurs sont autant aidés financièrement qu’au Luxembourg. C’est exceptionnel. Après, on pourrait s’améliorer, par exemple, sur l’accompagnement créatif des projets, pas financièrement – au niveau de l’argent, il n’y a jamais eu de problème au Luxembourg! –, mais au niveau humain.
Vous parlez beaucoup des réalisateurs, quid des scénaristes?
Ils sont peu nombreux. Parmi notre soixantaine de membres, ils sont six ou sept seulement. Après, il y a pas mal d’auteurs-réalisateurs. Mais bon, on n’a peut-être pas assez de scénaristes au Luxembourg. C’est pour ça qu’on a insisté pour qu’il y ait une aide aux auteurs, même avec un budget modeste, pour permettre de développer des projets différents ou de jeunes auteurs.
Pourquoi est-ce important d’avoir un cinéma de création luxembourgeois, comme vous dites? Après tout, ce n’est pas avec ces films que le Grand-Duché remporte de grands prix internationaux ou fait – à l’exception de Superjhemp retörns – beaucoup d’entrées au cinéma?
Parce qu’il n’y a aucune justification au fait qu’on donne des subsides d’État pour faire du cinéma si on ne crée pas aussi un patrimoine audiovisuel luxembourgeois. Après, bien sûr, la création a besoin des coproductions et de l’animation pour faire tourner l’industrie, pour grandir, pour avoir des producteurs qui ont de bonnes connexions à l’international, pour avoir de bons techniciens, etc. Nous sommes tous interdépendants. Mais la motivation première pour investir dans le cinéma doit rester culturelle !
Avec Tel Aviv on Fire, on a une vraie chance
Pourtant, c’est Tel Aviv on Fire que le Luxembourg a choisi pour le représenter aux Oscars.
Il y a des critères de sélection et, en tant que production majoritairement luxembourgeoise, ce film entrait dans les critères. Il ne faut pas être hypocrite. Ça aurait peut-être été plus moral d’envoyer Superjhemp, mais il faut être réaliste, avec Tel Aviv on Fire, il y a une vraie chance que le film soit sélectionné parmi les finalistes, ce qui serait une super promotion pour l’ensemble du cinéma luxembourgeois, notamment les scénaristes et les réalisateurs.
Vous avez dit plus tôt, « l’argent n’a jamais été un problème ». Pourtant, dernièrement, il y a eu une importante controverse sur l’utilisation de l’argent public pour le cinéma…
Je trouve tout à fait normal qu’on analyse le fonctionnement du Film Fund. Qu’on regarde où va l’argent public. C’est légitime aussi bien de la part de la Chambre des députés que des médias. Maintenant… Le traitement que certains médias ont fait de ces informations était clairement politique et populiste. Et ça, c’est dégueulasse. On a vraiment l’impression que ça a été fait exprès pour descendre le secteur pour plaire au style d’un certain type de public.
Et qu’avez-vous envie de dire à ce public?
Allez voir les films, bordel de merde! (Il rit) Au Luxembourg, on parle tout le temps d’argent, du Film Fund, des producteurs… mais pas assez des films. Pourtant, c’est ça la seule discussion vraiment intéressante… Est-ce que les films sont bons? On a fait un bond extraordinaire au niveau du cinéma luxembourgeois. Les chiffres en salles, aussi bien que les sélections en festivals, sont là pour le prouver. Alors quand on entend dans les médias que ce sont des films qui ne vont nulle part et qui ne font pas d’entrées, ce n’est pas vrai du tout!
C’est quand même 40 millions d’euros par an!
C’est pour ça qu’il est normal qu’on pose des questions, qu’on fasse un audit. Mais si on ne parle que des quelques points négatifs qui sont sortis de l’audit sans rien dire de tous les points positifs, ça ne va pas! La question plus globale est : est-ce que l’investissement dans la culture vaut le coup? On est quand même mal barrés si on est obligés de revenir à ces questions basiques.
Il a tout de même été question de malversations, d’utilisation frauduleuse de l’argent public. Dans le milieu, on en parle?
S’il y a malversation ou fraude, il faut qu’il y ait une enquête, que ça passe au tribunal et que ce soit condamné. En tout cas, ni moi ni les réalisateurs ou scénaristes luxembourgeois ou le LARS ne sommes visés.
Un projet de film, c’est trois ans de travail
Revenons au LARS. Quelles sont vos prochaines revendications?
Les salaires ! Il faut savoir qu’un projet de film, pour un réalisateur, c’est facilement trois ans de travail. Et le développement est, la plupart du temps, pas du tout rémunéré. Un réalisateur ne touche que 1 à 5 % du budget d’un long métrage de fiction; normalement, c’est entre 2 et 3 %. Ce qui fait que la plupart des réalisateurs vivent avec un salaire minimum, et encore, uniquement grâce au système de l’intermittence du spectacle. On travaille sur une grille, avec des minima, mais on n’y est pas encore. Deuxième revendication, obtenir une convention ministérielle. Si tout va bien, ce sera pour l’année prochaine.
Et comment imaginez-vous tout ça dans vingt ans?
Ce qui me tient le plus à cœur, c’est le développement du cinéma. Les infrastructures sont là. J’espère que dans vingt ans, on aura encore des subsides pour la culture et le cinéma luxembourgeois. Qu’on continuera à faire de bons films, comme ces cinq dernières années, et que les gens iront les voir! Que d’ici-là, les réalisateurs luxembourgeois pourront grandir au niveau du Grand-Duché, mais aussi au niveau international et qu’un jour, enfin, vieux fantasme national, un réalisateur luxembourgeois montera les célèbres marches à Cannes.
Pablo Chimienti