Accueil | Culture | [Cinéma] Till : chronique sans violence d’un lynchage

[Cinéma] Till : chronique sans violence d’un lynchage


Le film raconte le lynchage dans l’État ségrégationniste du Mississippi du jeune Emmett Till, 14 ans, à travers les yeux de sa mère, restée à Chicago. (Photo : united artists/universal pictures)

Le film Till réalise un tour de force : celui de retracer deux heures durant l’assassinat dans l’Amérique ségrégationniste des années 1950 d’un adolescent noir, devenu symbole de la lutte pour les droits civiques, sans aucune scène de violence.

Le choix de Chinonye Chukwu est revendiqué haut et fort par la réalisatrice, qui a volontairement épargné l’équipe de tournage et le public. Lors d’une conférence de presse pour promouvoir le film, cette dernière a expliqué n’avoir «aucun intérêt à montrer la violence physique infligée aux corps noirs». «En tant que personne noire, je ne voulais pas tourner ça et je ne voulais pas regarder ça. Je ne voulais pas infliger cela au public, ni me traumatiser encore une fois», a-t-elle développé. «Nous n’avons pas besoin de ça, tout simplement!»

«L’endroit où la caméra se concentre est son propre acte de résistance»

Le long métrage Till, qui sort ce vendredi dans les salles américaines, revient sur la terrible histoire d’Emmett Till, un adolescent noir de 14 ans enlevé, torturé et tué en 1955 dans l’État ségrégationniste du Mississippi. Originaire de Chicago, le jeune garçon rendait visite à des membres de sa famille dans cet État du Sud et avait été accusé d’avoir tenté de peloter une femme blanche après l’avoir sifflée. Il avait ensuite été enlevé et son cadavre mutilé avait été retrouvé 72 heures plus tard dans une rivière.

Le film raconte ce drame à travers les yeux de sa mère, Mamie, restée à Chicago. Lors de la première du film à New York début octobre, la réalisatrice a souligné que «l’endroit où la caméra se concentre est son propre acte de résistance». Du lynchage, le public n’apercevra donc que le moment où le jeune Emmett se fait enlever sous la menace d’un pistolet, puis un plan extérieur à la scène de torture, où quelques cris de douleur permettent de comprendre ce qu’il en est.

En tant que personne noire (…) je ne voulais pas infliger cela au public, ni me traumatiser encore une fois

Ces dernières années, certains films hollywoodiens ont été accusés d’exploiter la souffrance des Afro-Américains pour faire recette. Le western autour de l’esclavage Django Unchained (2012), réalisé par Quentin Tarantino, sans renoncer aux effusions de sang dont il raffole dans le reste de sa filmographie, a par exemple fait polémique. Certains critiques de cinéma ont également souligné la propension d’autres films sur l’esclavage comme Harriet (Kasi Lemmons, 2019) ou le multioscarisé 12 Years a Slave (Steve McQueen, 2013) à réduire le rôle historique des Noirs américains à celui de victimes.

S’il ne filme pas le meurtre, Till montre en revanche le corps mutilé d’Emmett, dans son cercueil resté ouvert. Un passage obligé selon Chinonye Chukwu : sa mère avait ordonné de montrer le cadavre lors des obsèques. Les photos étaient entrées dans le versant sombre de l’histoire des États-Unis et l’événement a eu une influence importante sur le mouvement pour les droits civiques. «C’était délicat, mais je savais que je voulais faire cela avec tact, tout en restant efficace», a précisé la réalisatrice.

Un psychologue embauché pour assister acteurs et équipe technique

Elle a également fait œuvre d’économie pour filmer les scènes les plus difficiles. Par exemple lorsque Mamie, interprétée par l’actrice Danielle Deadwyler, identifie le cadavre. «J’ai dit à l’équipe : « Écoutez, on a deux prises et c’est tout, d’accord? Essayez d’être le plus parfait possible, car ce qu’on capturera, c’est ce qu’on aura, je n’inflige pas ça à Danielle plus de deux fois ».» Un psychologue a en outre été embauché sur le tournage pour assister les acteurs et l’équipe technique.

Le film sort seulement quelques mois après la signature en mars, par Joe Biden, d’une loi faisant du lynchage un crime fédéral, puni par 30 ans d’emprisonnement. Un texte qui porte le nom d’Emmett Till, 66 ans après sa mort. Présent pour la signature, le scénariste de Till, Keith Beauchamp, y voit un symbole «en demi-teinte», parce qu’il a fallu «près de cent ans pour la faire adopter», a-t-il confié.

Mais, «d’un autre côté, c’était une victoire. En demi-teinte aussi, car nous nous battons toujours pour que justice soit rendue à Emmett Till.» Les meurtriers de l’adolescent avaient été acquittés par un jury intégralement blanc. Protégés par ce verdict, ces deux hommes blancs avaient ensuite relaté en 1956 à un magazine comment ils l’avaient tué. Ils sont aujourd’hui décédés.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.