Glaçante sensation aux derniers festivals de Cannes et de Gérardmer, The Innocents sort ce mercredi sur les écrans. Son réalisateur, Eskil Vogt, y explore le genre fantastique et la violence à travers le cercle très fermé de l’enfance. Un choc.
Avec Eskil Vogt, la peur se présente sous ses atours les plus tranquilles. Dans Blind (2014), son premier long métrage, elle naissait d’un handicap, la perte de la vue de la protagoniste : un sens en moins qui fait apparaître des sensations refoulées.
Le nouveau film du cinéaste et scénariste norvégien, The Innocents, pousse plus loin encore l’exploration de la terreur en plaçant sa caméra là où l’on ne soupçonnerait jamais le mal de surgir : dans le cercle très fermé de l’enfance.
«C’est un moment de la vie qui porte en lui quelque chose d’étrange, sans mots», nous affirmait-il en janvier dernier, lors de la présentation de son deuxième long métrage au festival international du Film fantastique de Gérardmer, d’où il est reparti avec le prix de la critique et celui du public.
Le quatuor au centre de The Innocents n’est plus véritablement dans l’enfance, mais n’est pas encore entré dans l’adolescence. Il y a deux sœurs, Anna (Alva Brynsmo Ramstad) et Ida (Rakel Lenora Fløttum), qui viennent d’emménager avec leurs parents dans un HLM encerclé par une immense forêt; l’aînée est autiste, la cadette, plutôt solitaire.
C’est l’été et l’immeuble est quasiment déserté, mais les deux sœurs se font des amis, Ben (Sam Ashraf) et Aisha (Mina Yasmin Bremseth Asheim), et passent leurs journées dans l’aire de jeux au pied du bloc. Voire un peu plus loin, dans la forêt, où, loin du regard des parents, ils se découvrent des dons de télékinésie…
«Agir selon leurs impulsions»
Pour Eskil Vogt, «la façon qu’a un enfant de percevoir le monde (…) n’a rien à voir avec la façon de penser des adultes». The Innocents est d’ailleurs né, dit-il, du fait que lui-même soit devenu père, et avait déjà tenté de creuser l’idée il y a un peu plus de cinq ans, à l’époque où, avec son complice de toujours, Joachim Trier, les deux écrivaient le scénario de Thelma (Joachim Trier, 2017).
Dans ce dernier, une étudiante timide partie étudier à Oslo tombe amoureuse d’une jeune femme, mais la découverte de ses sentiments déclenche chez elle d’incontrôlables crises d’épilepsie, qui cachent en réalité de puissants et dangereux pouvoirs.
«The Innocents était l’une des mille idées qu’on a eues en séance de travail à cette époque (…) On l’a laissée tomber avec Joachim, mais elle ne m’a pas quittée», explique le réalisateur. Et les deux films, en effet, partagent de nombreuses similitudes.
«The Innocents, dans un sens, est un film que j’ai fait en réaction à Thelma», poursuit Eskil Vogt. Cette fois, les pouvoirs développés par les protagonistes ne sont plus déclenchés par le désir, mais par une curiosité morbide. Une séquence centrale, difficile à endurer, montre les enfants «jouer» avec un chat… Ce qui soulève chez le cinéaste plusieurs réflexions.
«Les enfants ne sont pas des êtres complètement formés, ils peuvent agir selon leurs impulsions sans avoir à souffrir des conséquences, ne serait-ce que juridiquement.» Et il déclare que «plusieurs psychologues m’ont confirmé que dans leurs premières années, les enfants peuvent réaliser des choses tout à fait horribles», qui auraient plutôt à voir «avec la curiosité, l’expérimentation ou une empathie qui n’est pas encore tout à fait là».
Les quatre jeunes acteurs qui évoluent dans ce monde où les adultes brillent par leur absence, tous brillants, ont été trouvé après un long casting, «plus d’un an» selon le cinéaste. «Quand on a commencé le tournage, c’était un vrai plaisir. Ils travaillent comme des pros», explique-t-il dans un français parfait (il a étudié le cinéma à la Femis, à Paris).
Les rôles leur demandaient pourtant de réaliser des actions pour le moins traumatisantes, mais «ils ont assimilé tout de suite l’idée que les personnages qu’ils jouaient ne reflétaient pas la réalité, ça a rendu facile de parler des choses les plus dures dans le scénario. Ensuite, quand il s’est agi de filmer ces choses-là, donc de les faire (…) c’était un jeu» pour eux, conclut Eskil Vogt.
La façon qu’a un enfant de percevoir le monde (…) n’a rien à voir avec la façon de penser des adultes