En salles mercredi, The Dead Don’t Hurt revisite le western classique américain sous un angle féminin. Une belle histoire d’amour et de vengeance portée par Vicky Krieps.
Genre cinématographique passé de mode, ou aux sentiers mille fois rebattus, le western classique américain reste maintenu en vie par une poignée d’irréductibles réalisant de vieux rêves d’acteurs. Kevin Costner a redéfini le genre avec Dances with Wolves (1990); suivront Open Range (2003) et le très attendu Horizon : An American Saga, dont la première partie sera présentée hors compétition, en mai, au Festival de Cannes.
Tommy Lee Jones a, lui, bousculé les conventions avec le très beau western humaniste et féministe The Homesman (2013). Dans une veine plus traditionnelle, Ed Harris s’était illustré avec Appaloosa, récit d’un triangle amoureux impliquant un shérif, incarné par le réalisateur, et son adjoint, joué avec beaucoup de finesse par Viggo Mortensen.
Ce dernier vient désormais ajouter son nom à la liste qui précède avec son deuxième long métrage. En marge de l’avant-première de The Dead Don’t Hurt au dernier LuxFilmFest, Viggo Mortensen déclarait au Quotidien : «J’avais dans l’idée de faire un western classique, chose désormais rare au cinéma, et je voulais le faire en respectant mes aînés.» Costner, Jones et Harris mis au même niveau que John Ford, Howard Hawks, Delmer Daves ou Samuel Fuller, donc.
Vivienne, «femme indépendante avec ses propres limites»
«La principale différence avec le western classique est que l’on se concentre ici sur un personnage féminin», poursuit-il : Vivienne Le Coudy (Vicky Krieps), une Québécoise bien installée dans la haute société de San Francisco. Sa rencontre avec Holger Olsen (Viggo Mortensen), un autre immigré, va changer la donne. Elle tombe amoureuse de ce Danois sans histoire et le suit dans son village du Nevada.
Malgré son insigne de shérif, Holger doit naviguer entre un maire corrompu, un puissant propriétaire de ranch et son fils, «gunman», sans foi ni loi. Lorsque Holger est appelé à la guerre sous le drapeau de l’Union, son petit coin de paradis est menacé, et Vivienne, «femme indépendante avec ses propres limites», livrée à elle-même… et aux vautours.
Il nous fallait une excellente Vivienne, et Vicky Krieps a été excellente
Dans une récente interview pour le site Vanity Fair, Vicky Krieps s’était souvenue que le tournage de The Wall (Philippe Van Leeuw, 2023), en Arizona, lui avait donné l’envie soudaine de faire un western : «Je me suis vue sur un cheval dans ce désert, et la même semaine, j’ai reçu un message de mon agent : « Viggo Mortensen veut te parler. » J’ai senti que je devais le faire.»
De son côté, l’acteur, scénariste et réalisateur ne tarit pas d’éloges sur son actrice : «Dans cette histoire, on ne suit pas l’homme à la guerre, on le laisse partir. C’est d’elle qu’il s’agit, de sa vie seule, de ce qu’elle doit affronter, de ce qui lui arrive. Pour cela, il nous fallait une excellente Vivienne, et Vicky a été excellente.»
Falling (2020), le premier long métrage de Viggo Mortensen, se basait sur l’expérience vécue de voir ses deux parents souffrir d’Alzheimer. Écrit durant le confinement à Madrid, où il vit, The Dead Don’t Hurt est largement inspiré du souvenir de sa mère, Grace Gamble Atkinson : «L’étincelle du scénario, c’est l’image de cette petite fille errant dans la forêt, en rêve. Pour moi, cette enfant, c’était ma mère. Je l’ai donc imaginée adulte, afin qu’elle devienne un personnage de fiction, et j’ai remonté le fil du temps.»
Dans son rêve, la petite Vivienne, élevée aux récits héroïques de Jeanne d’Arc, rencontre un chevalier – une autre idée inspirée au réalisateur par les livres de contes hérités de sa mère et précieusement conservés.
«Les cow-boys, dans la fiction, sont une évolution naturelle des chevaliers», relève le réalisateur. Quant à Jeanne d’Arc, «c’est l’idée que (Vivienne) se fait, depuis qu’elle est petite fille, d’être indépendante (…). Adulte, elle dira : « Je n’ai besoin de personne pour me sauver. »» Si Viggo Mortensen et Vicky Krieps se cachent à tour de rôle sous l’armure du chevalier, son épée, elle, est familière : il s’agit de celle d’Aragorn, guerrier iconique qui a fait de l’acteur une star mondiale dans la trilogie Lord of the Rings (Peter Jackson, 2001-2003).
Explosions de violence et sentiments humains
Scénariste de talent et encore meilleur metteur en scène, Viggo Mortensen se défend de vouloir réinventer un genre. Personnelle, son entreprise se montre aussi bien ambitieuse : chacun des actes de cette histoire d’amour et de vengeance fait l’aller-retour, avec intelligence et délicatesse, entre explosions de violence et sentiments humains, reliés par une tension constante.
Outre la beauté des images du directeur de la photographie danois Marcel Zyskind, une ultime touche de subtilité réside dans la musique, «composée et enregistrée» par le réalisateur «avant de commencer le tournage», et qui a contribué à façonner le film sur le plateau, au Mexique et au Canada.
Pour Vicky Krieps aussi, la musique est une façon de dire au revoir à ses personnages, qui «vivent aujourd’hui dans (s)es chansons» – une habitude qu’elle a prise après chaque tournage depuis Phantom Thread (Paul Thomas Anderson, 2017) et qui laisse courir la rumeur d’un futur premier album réunissant ses morceaux. Celui inspiré par Vivienne, dit-elle, est sombre et triste.
The Dead Don’t Hurt, de Viggo Mortensen. Sortie mercredi.