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Viggo Mortensen : «Mon école de cinéma, c’était de regarder les gens faire des films»


Viggo Mortensen. (photo Tania Feller)

Invité du LuxFilmFest pour y présenter le western The Dead Don’t Hurt, son deuxième long métrage, Viggo Mortensen réfléchit à sa nouvelle carrière de réalisateur.

En ouverture de The Dead Don’t Hurt, le western et deuxième long métrage réalisé par Viggo Mortensen, présenté samedi en clôture d’un 14e LuxFilmFest qui a vu triompher le film iranien Terrestrial Verses, une séquence de rêve dans laquelle une jeune fille (Vivienne, l’héroïne jouée, adulte, par Vicky Krieps) rencontre un chevalier dans la forêt.

Si son épée semble familière, c’est normal : il s’agit de celle d’Aragorn, le valeureux guerrier qui a fait de l’acteur américano-danois une icône du cinéma, dans la trilogie The Lord of the Rings de Peter Jackson. Un personnage «qui fait partie de moi», avoue-t-il.

Tout comme Tom Stall, ex-tueur d’élite parti vivre une vie tranquille dans A History of Violence (David Cronenberg, 2005), le mafieux russe hypermusclé et tatoué Nikolaï Loujine (Eastern Promises, de David Cronenberg, 2008) ou Ben Cash, le père de famille anticonformiste, héros de Captain Fantastic (Matt Ross, 2016).

Forcément, on retrouve un peu de ces personnages emblématiques dans les rôles que Viggo Mortensen, passé à la réalisation en 2020 avec Falling, un drame familial sur l’incompréhension entre un père conservateur atteint d’Alzheimer et son fils homosexuel, se réserve dans ses films.

Dans The Dead Don’t Hurt, il incarne Olsen, un menuisier devenu shérif, émigré danois, qui part à la guerre, laissant seule Vivienne dans un village corrompu du Far West. Rencontre avec un cinéaste qui s’autodéfinit «classique», mais dont les films sont, comme ses rôles, guidés par le cœur.

On retrouve dans le western The Dead Don’t Hurt, bien que très différent de votre premier film, Falling, des thèmes similaires : vous y montrez deux faces opposées de l’Amérique, explorez l’idée de masculinité et racontez une histoire d’amour entourée par la violence… Faut-il y voir le signe d’un auteur naissant ?

Viggo Mortensen : (Il sourit.) Eh bien, il se trouve que le scénariste et le réalisateur de ces deux films sont la même personne (il rit). J’avais dans l’idée de faire un western classique, chose désormais rare au cinéma, et je voulais le faire en respectant mes aînés : donc, faire un film historiquement juste, et dans lequel les personnages communiquent en grande partie sans parler.

La principale différence avec le western classique est que l’on se concentre ici sur un personnage féminin; quand l’homme part à la guerre, on reste avec elle. Pour cela, il fallait de très bons acteurs. En particulier une excellente Vivienne, et Vicky (Krieps) a fait un excellent travail.

Un autre point commun avec Falling est le choix d’une narration déconstruite, un procédé que l’on trouve peu dans vos films en tant qu’acteur. Que cela vous permet-il ?

Mes deux films adoptent une narration non linéaire pour des raisons différentes. Dans Falling, je voulais traduire la démence dont est atteint le père, mais aussi montrer qu’avec le temps, les gens changent. Ici, j’aimais l’idée de présenter les conséquences avant la cause. C’est un jeu avec le public.

Cette structure est un peu inhabituelle, qui se rapproche peut-être plus du roman que du cinéma, mais je crois qu’elle fonctionne. Ma première idée, celle qui a été l’étincelle du scénario, c’est l’image de cette petite fille errant dans la forêt, en rêve. Pour moi, cette enfant, c’était ma mère. Je l’ai donc imaginée adulte, afin qu’elle devienne un personnage de fiction, et j’ai remonté le fil du temps.

Dans ce rêve où elle se revoit enfant, Vivienne, une femme indépendante élevée aux récits héroïques de Jeanne d’Arc, rencontre un chevalier. Quelle est la signification de ce personnage ?

Quand on pense aux cow-boys, dans les œuvres de fiction, ils sont une évolution naturelle des chevaliers. Et puisque la mère de Vivienne lui raconte l’histoire de Jeanne d’Arc, c’est l’idée qu’elle se fait, depuis qu’elle est petite fille, d’être indépendante, tout en enrichissant son imagination. Lorsqu’elle est adulte, elle dit : « Je n’ai besoin de personne pour me sauver. »

Le cinéma que j’aime est celui qui résulte d’un travail collectif

À la différence des westerns classiques dont vous vous êtes inspiré, où la musique accompagne généralement la narration, la bande originale de The Dead Don’t Hurt, que vous composez, se concentre plutôt sur les personnages et les émotions…

Par rapport à mon premier film, la musique est ici plus importante et complexe, je me suis risqué à plus de choses. Le processus de composition devait aller de pair avec la non-linéarité du récit, alors j’ai composé et enregistré la plus grande partie de la musique avant de commencer à tourner.

Je l’ai amenée avec moi sur le plateau; cela m’a aidé à dessiner la longueur des scènes, leur rythme, leur ton, les transitions entre les différentes temporalités et, bien sûr, à définir la musicalité de l’ensemble. Certains morceaux, et des instruments en particulier, sont réservés aux personnages, mais toujours en étant respectueux de l’époque. Il fallait que la musique soit aussi crédible que les revolvers et les chapeaux.

Outre le cinéma et la musique, vous êtes aussi peintre, photographe, poète… Voyez-vous le film comme un langage permettant de jouer avec toutes ces disciplines que vous pratiquez ?

Quand je joue (NDLR : pour d’autres réalisateurs), je suis toujours sur le plateau, même lorsque je ne tourne pas. Alors, je m’intéresse au travail des équipes derrière la caméra, pour comprendre ce qu’elles font, comment on passe du scénario à l’écran. Comme réalisateur, je suis responsable des décisions finales, mais au début de ma carrière, j’ai découvert que le cinéma est un médium basé sur la collaboration. Le cinéma que j’aime, en tout cas, est celui qui résulte d’un travail collectif.

Quant aux acteurs, chacun est différent : certains s’investissent à l’extrême dans leur performance, d’autres refusent de parler à quiconque sur le plateau ou exigent qu’on s’adresse à eux par le nom de leur personnage. Si c’est leur méthode de travail, très bien. En tant que réalisateur, j’évite d’employer ce genre d’acteurs. Je préfère les gens qui ont le sens du travail collectif.

Et de la même manière qu’un acteur doit être flexible et ouvert dans son travail avec le réalisateur, ce dernier doit être flexible et ouvert avec ses équipes. Même si j’ai écrit le film, et que l’idée que je m’en fais est très claire dans mon esprit, je suis toujours prêt à entendre ce que mes collaborateurs ont à proposer.

Le premier jour de tournage, sur Falling comme sur The Dead Don’t Hurt, j’ai dit à l’équipe : « Si vous avez de bonnes idées, amenez-les-moi. Mais faites-le à temps! »

Depuis vos débuts devant la caméra il y a 40 ans, vous avez été dirigé par David Cronenberg, Peter Jackson, Jane Campion, Brian De Palma, Matt Ross, John Hillcoat… Qu’avez-vous appris auprès d’eux, qui guide votre travail de cinéaste aujourd’hui ?

L’importance de la préparation. On ne se prépare jamais assez pour arriver calme et reposé sur un tournage, mais c’est ce qui fait que l’on travaille efficacement. L’ouverture d’esprit aussi… et la politesse, c’est très important. J’ai souvent eu la chance de travailler avec de grands réalisateurs et réalisatrices, directeurs de la photographie, décorateurs…

Mon école de cinéma, c’était voir des films et regarder des gens en faire. Bien sûr, quand on est un réalisateur qui a le contrôle sur sa création et qui occupe plusieurs postes – c’est mon cas –, cela peut rendre plus difficile la recherche de financements (il rit).

Votre nom ne suffit pas à décrisper les producteurs ?

(Il grimace) Il y a eu un précédent avec mon premier film, que j’ai fait selon le même modèle, mais les producteurs auraient pu me dire non la deuxième fois. Je supervise tout, y compris les affiches, les photos promotionnelles ou les sous-titres, ce qui peut embêter les producteurs.

Et même si je prends beaucoup de plaisir à réaliser et endosser toutes ces casquettes pour un même projet, ça ne veut pas dire que je veux tout faire et décider seul.

Le palmarès

Grand Prix

Terrestrial Verses, d’Ali Asgari et Alireza Khatami

Mention spéciale pour la performance de Kauan Alvarenga (Toll, de Carolina Markowicz)

Mention spéciale pour la réalisation de Luna Carmoon (Hoard)

Prix du documentaire

Reas, de Lola Arias

Mention spéciale à Hollywoodgate, d’Ibrahim Nash’at

Prix Fipresci de la critique

Terrestrial Verses, d’Ali Asgari et Alireza Khatami

Prix 2030 Award

El eco, de Tatiana Huezo

Prix du public

Gasoline Rainbow, de Bill et Turner Ross

Prix du jury jeune

5 Seasons of Revolution, de Lina

Prix du jury scolaire

Scrapper, de Charlotte Regan

Prix du jury enfants

La Maison des égarées, de Shinya Kawatsura

Prix de la meilleure expérience immersive

Noire – La vie méconnue de Claudette Colvin, de Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud

Mention spéciale à The Fury, de Shirin Neshat

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