Le «reboot» de Mortal Kombat, en salles mercredi, a fait un carton lors de sa sortie aux États-Unis, fin avril. L’occasion de revenir sur l’histoire compliquée des adaptations de jeux vidéo sur grand écran, marquée par une malédiction.
Il y a 26 ans, le film Mortal Kombat (Paul W. S. Anderson, 1995) brisait une malédiction : celle des adaptations de jeux vidéo. Hollywood venait alors de s’emparer du phénomène «made in Japan» pour, à son tour, divertir les foules en faisant un maximum d’oseille. Sans le résultat escompté : «game over» pour Super Mario Bros. (Rocky Morton et Annabel Janckel, 1993) et Double Dragon (James Yukich, 1994), qui se plantent tous les deux, laissant pour la postérité, pire que des «nanars», des longs métrages encore douloureux à voir. Le vrai duel arrive à la saison 1994/1995, avec Street Fighter (Steven E. De Souza, 1994) et Mortal Kombat, déjà rivaux dans les salles d’arcade. Le premier fait un carton, plus grâce à la présence de son acteur principal, Jean-Claude Van Damme, qu’à son scénario mal bricolé et son atmosphère «camp»; l’autre le supplante, quelques mois plus tard, en devenant premier au box-office mondial la semaine de sa sortie, sans doute grâce au rire. Et sa nouvelle version réalisée par Simon McQuoid, en salles mercredi, a réitéré l’exploit, certes dans un contexte inédit, mais qui continue de prouver l’engouement des fans de toutes les générations. De quoi faire rire Christophe Lambert…
Si Mortal Kombat a créé une vocation chez le Britannique Paul Anderson, le réalisateur n’en tirera pas le talent de son homonyme américain, réalisateur de Boogie Nights (1997) et Magnolia (1999). Son adaptation du jeu du studio Midway Games le propulsera à la tête de la saga Resident Evil (2002-2016), tirée de la série de jeux d’horreur de Capcom, et dont il écrira la totalité des six volets, non content d’en réaliser déjà quatre d’entre eux. Avec le premier Resident Evil et, surtout, Lara Croft : Tomb Raider (Simon West, 2001), film d’aventures à la croisée des chemins entre Indiana Jones, The Da Vinci Code et une nuit dans l’intimité d’Angelina Jolie – les contre-plongées et les costumes moulants donnant de quoi se rincer les yeux aux papas réticents à l’idée d’emmener leurs enfants au cinéma pour un film qu’ils n’ont pas choisi – les adaptations de jeux vidéo rapportent des centaines de milliers de dollars aux gros studios et la malédiction semble enfin levée. Pour un temps seulement…
Le variant teuton
Avec Uwe Boll, l’image du jeu vidéo en prend un sacré coup. L’Allemand a débarqué quelques années plus tôt au Canada, abandonnant à son pays natal une poignée de films peu vus et tout autant appréciés. Mais en indépendant, et grâce au système de financement allemand, qui continue de l’aider, Boll fait main basse sur tout un tas de franchises et s’y dédie corps et âme, à commencer par House of the Dead (2003), d’après le jeu de tir japonais du même nom. Des zombies, des flingues et du gore : du spectacle jouissif promis, il ne reste au final qu’un ennui mortel doublé d’une vraie consternation face à un réalisateur qui ne sait ni filmer, ni produire, ni diriger ses acteurs, ni rendre justice à l’univers du jeu d’origine. Mais l’autoproclamé génie subversif – comprendre : tâcheron racoleur – persiste et signe.
Alone in the Dark (2005), BloodRayne (2006), In the Name of the King : A Dungeon Siege Tale (2007), Far Cry (2008) et d’autres encore : Boll réalise pas moins de onze films vaguement adaptés de jeux vidéo – et autant de bouses – en l’espace de huit ans, avant de se consacrer à d’autres projets à partir de 2012. Et de ranger définitivement sa casquette de réalisateur en 2016 pour ouvrir un restaurant de gastronomie allemande à Vancouver, qui lui vaudra, pour la première et la seule fois de sa vie, des bonnes critiques. Mais si le jeu vidéo et le cinéma sont désormais soulagés d’un boulet, tout n’est pas gagné. Silent Hill (Christophe Gans, 2006) ne semblait être qu’un mirage dans un univers qui respecte peu le spectateur ou le «gamer» cinéphile et où l’on préfère choisir des jeux qui donneront des films à base de grosse baston, comme en attestent les ratés d’après de grosses franchises : le musclé Doom (Andrzej Bartkowiak, 2005), la «bessonnade» Hitman (Xavier Gens, 2007), l’indigeste Max Payne (John Moore, 2008) et sa déferlante d’effets numériques loupés, ou, pour les rares qui ont pris sur eux de le voir, Tekken (Dwight H. Little, 2009)…
Redorer le blason
Il faudra attendre quelques années pour que les adaptations de jeux vidéo rencontrent un vrai succès public et une certaine – quoique souvent modérée – reconnaissance critique. Prince of Persia : The Sands of Time (Mike Newell, 2010), Assassin’s Creed (Justin Kurzel, 2016) et Warcraft (Duncan Jones, 2016) – ce dernier ayant échappé à Uwe Boll, qui s’est vu refuser le projet –, en plus de cartonner en salles, s’offrent les services de cinéastes expérimentés. Ceux-ci font de leur mieux pour redorer le blason d’un genre auquel Hollywood tient, mais qu’il piétine inlassablement. Et mieux, selon les standards des adaptations de jeux vidéo, c’est déjà beaucoup.
Après les récents succès de Detective Pikachu (Rob Letterman, 2019) et Sonic the Hedgehog (Jeff Fowler, 2020), qui reprennent à leur sauce les grandes lignes d’autres classiques des consoles, Mortal Kombat connaît donc un «reboot», une nouvelle version de l’«origin story» des personnages cultes Raiden, Scorpion, Sub-Zero, Kung Lao ou Sonya Blade. Sans trop savoir par où commencer : les effets numériques «cheap» (voir photo), l’introduction d’un nouveau personnage, Cole Young, comme protagoniste et caution scénaristique, les scènes de combat surdécoupées, la musique qui oscille entre drum’n’bass insupportable et orchestration grandiloquente sans identité, les «punchlines» prévisibles du colosse Kano ou l’absence volontaire d’autres personnages légendaires pour annoncer une suite. Les fans qui ont du goût ne prendront même pas de plaisir à voir des combats pourtant joliment chorégraphiés, la faute à des effusions de sang généreuses mais gâchées par leur création par ordinateur. Si la malédiction doit revenir, par pitié, qu’elle continue d’épargner Grand Theft Auto…
Mortal Kombat, de Simon McQuoid.
Valentin Maniglia