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[Cinéma] Monster, une affaire de points de vue


Entre drame intime et thriller psychologique, Monster instaure un puzzle autour du jeune Minato et invite à se demander : qui est le monstre?

Le réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda plante sa caméra devant l’enfance et ses mystères dans un puzzle dramatique bouleversant intitulé Monster.

Grand habitué du rendez-vous cannois, Hirokazu Kore-eda était évidemment de la partie en mai dernier avec son seizième film (le neuvième présenté dans la sélection officielle).

Et après, notamment, un Prix du jury en 2013 (Like Father, Like Son) et la Palme d’or en 2018 (Shoplifters), Monster, le nouveau film du cinéaste japonais, sort aujourd’hui en salles, auréolé de deux récompenses obtenues sur la Croisette : le prix du scénario et la Queer Palm, prix indépendant qui distingue le traitement des thématiques LGBTQIA+.

Et le réalisateur de Nobody Knows (2004) frappe là où on ne l’attendait pas, avec une œuvre qui se pare des atours du thriller psychologique. Derrière la délicatesse propre au cinéma de Kore-eda, c’est un casse-tête qu’il faut résoudre.

Pièce centrale du puzzle Monster, un immeuble en feu. Une catastrophe à laquelle assistent, au loin, Minato (Soya Kurokawa) et sa mère, Saori (Sakura Ando), depuis le balcon de leur appartement.

Le comportement de l’adolescent a de quoi préoccuper la jeune mère célibataire : Minato croit qu’on lui a greffé un cerveau de porc, perd ses chaussures, développe une fascination pour la boue, dont il rapporte des échantillons dans sa gourde, et se montre parfois agressif.

Une rumeur venue de l’école laisse entendre à Saori que le problème vient d’un enseignant, Hori (Eita Nagayama), qui pointe à son tour des soupçons de harcèlement scolaire envers Yori (Hiiragi Hinata), un camarade de classe de Minato.

En racontant une histoire simple à travers un concept à tiroirs, Kore-eda livre l’une de ses œuvres les plus puissantes. On retrouvera encore l’immeuble en feu : la séquence donne lieu à chaque fois à un changement de perspective sur l’histoire, dévoilant le secret de Minato à travers les points de vue de la mère, du professeur et du garçon lui-même.

Le concept reprend celui de Rashômon (Akira Kurosawa, 1950), à la différence que chaque nouvelle pièce de ce puzzle-là décale le jugement au lieu de le compléter; c’est l’idée ambitieuse, menée avec une grande subtilité, de Yuji Sakamoto, justement récompensé à Cannes.

Ce dernier «est le scénariste en activité pour qui j’ai le plus grand respect», souligne Hirokazu Kore-eda, qui écrit habituellement tous ses films – à l’exception de son premier, Maborosi (1995), et de Monster.

Leur admiration commune les a menés à se rencontrer après avoir souvent échangé à l’écrit sur les thèmes de prédilection qu’ils ont en commun : «la négligence, les délinquants et les familles recomposées». «L’air que nous inspirions est le même, mais pas celui que nous expirions», poursuit-il encore, précisant que Monster a réussi à «coordonner (leurs) respirations».

Les méthodes de travail de Kore-eda ont ainsi été bouleversées… pour le meilleur. Le cinéaste analyse : «Je me pose constamment des questions sur mon scénario sur le plateau, mais en travaillant à partir du script de quelqu’un d’autre, le tournage m’a semblé beaucoup plus serein.»

«Les histoires que j’écris sont généralement des tranches de vie», quand le scénario de Monster «est une histoire extrêmement solide découpée en chapitres». On retrouve pourtant les thèmes chers au réalisateur : cet âge formateur qu’est l’enfance, la privation des libertés, la vie de famille monoparentale… Tout pointe vers la dénonciation des institutions qui se protègent du scandale et de ce qui est moralement inacceptable.

«Ça ne vaut pas que pour le système éducatif japonais. Je pense que ça vaut pour la plupart des institutions, collectivités, qui ont en général tendance à vouloir se protéger avant toute chose», explique Kore-eda.

Aussi inhabituel qu’il soit pour le cinéaste, Monster est devenu son «projet de rêve», d’abord pour le scénario de Yuji Sakamoto, mais aussi et surtout pour la partition de Ryuichi Sakamoto. Décédé le 28 mars dernier, le légendaire compositeur (Merry Christmas, Mr. Lawrence, The Last Emperor, The Revenant…) avait répondu positivement à la demande de Kore-eda, précisant que son cancer lui avait ôté la force d’écrire une bande originale complète.

Ainsi, la musique est principalement composée de morceaux issus de 12, le dernier album de Sakamoto, publié deux mois avant sa mort. Le musicien a néanmoins écrit deux morceaux pour le film, dont le mouvement final, sublime et bouleversant (sa toute dernière composition pour le cinéma).

Tout cela dans un double objectif, parfaitement réussi par Kore-eda : «faire ressortir l’humanité des personnages» et «ménager une espèce de tension», afin que le spectateur «se pose la question : qui est le monstre?».

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