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[Cinéma] Le Petit Nicolas vu de l’intérieur


Dans le film, le Petit Nicolas s’invite dans la vie de ses «papas», Sempé et Goscinny, la vie des uns inspirant les aventures de l’autre… et vice versa.

Un film d’animation sorti mercredi adapte Le Petit Nicolas tout en se fendant d’un hommage aux auteurs, Sempé et Goscinny. Récit d’un superbe projet avec son producteur luxembourgeois.

Le héros haut comme trois pommes créé par Jean-Jacques Sempé et René Goscinny a fait son retour mercredi dans les salles et en animation, précédé par un accueil chaleureux au dernier festival de Cannes (présenté en séance spéciale) et, surtout, par un Cristal du long métrage, plus haute récompense du festival international du Film d’animation d’Annecy. Une victoire pour le personnage emblématique de la littérature jeunesse française, qui avait récemment connu trois adaptations «live» pas franchement réussies; une victoire de plus, aussi, pour le cinéma d’animation «made in Luxembourg», après ceux de Funan (Denis Do, 2018), lui aussi grand gagnant du festival d’Annecy, puis du Sommet des dieux (Patrick Imbert, 2021), César du meilleur film d’animation en février dernier.

Dans Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?, réalisé par Amandine Fredon et Benjamin Massoubre, on y trouve quelques-unes des histoires inoubliables écrites par Goscinny et mises en dessins par Sempé (Les Cow-boys, Le Football, Louisette…), mêlées à l’histoire de la création du personnage. Une gymnastique scénaristique faite d’allers-retours entre les époques, mais aussi entre la réalité et la fiction, pour un brillant récit autour de l’amitié et de la création. «L’idée de faire un film d’animation sur Le Petit Nicolas, qui soit également proche de ses auteurs, trottait dans nos têtes depuis le début», explique le producteur luxembourgeois de Bidibul, Lilian Eche, à l’initiative du projet.

Un projet long de huit ans

Pour en revenir à ce début, il faut remonter à 2014, lorsque Lilian Eche développe l’idée «avec (s)on ami, le producteur français Aton Soumache», avant d’aller, dans la foulée, «rencontrer les ayants droit», Jean-Jacques Sempé et Anne Goscinny, fille de l’écrivain et scénariste de BD décédé en 1977. «C’est une première étape qui prend du temps, raconte le producteur. Il faut prendre le temps d’expliquer le projet et nos intentions», tout en «restant à l’écoute de leurs remarques». Mais au fil du temps, ces rencontres se sont transformées en véritables «collaborations». «Anne Goscinny, on l’a vue régulièrement : en tant que gérante d’IMAV, qui édite Le Petit Nicolas, elle a des archives extraordinaires. Elle nous a beaucoup aidés, nous a raconté des souvenirs de son père… Et puis, à force de la voir, on lui a naturellement demandé de rejoindre l’équipe.» Voilà donc la fille de René Goscinny coscénariste du film.

Quant à Sempé, Lilian Eche parle d’une collaboration «moins régulière». «Il a validé notre vision, l’idée que l’on avait du film, mais on a avancé de notre côté sur l’animation». La particularité du long métrage est que le dessin reprend le trait du dessinateur du Petit Nicolas; ce dernier n’ayant pas participé à la réalisation du film, il a fallu aux équipes un travail de longue haleine. «Le seul développement de la technique pour animer le trait de Sempé nous a pris 18 mois», indique le producteur. Le résultat a été présenté au principal intéressé, qui l’a validé. Et bien que le film raconte aussi la vie de Sempé, le travail de recherche s’est essentiellement fait dans les riches archives d’Anne Goscinny.

Sempé, «notre référent»

Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux? est l’un des derniers projets auxquels a été attaché le dessinateur, décédé le 11 août dernier à l’âge de 89 ans. «Il ne pouvait pas participer activement à tout ce qu’il aurait voulu faire sur ce projet», mais «Jean-Jacques reste le designer originel du film», souligne Lilian Eche. «Pour nous, c’était notre référent. C’était Dieu, en quelque sorte : on allait le voir tremblants au départ, puis très vite, on s’est senti à l’aise.» «Beaucoup de gens qui travaillent dans le monde de l’animation – notamment les animateurs – sont des dessinateurs. Et bien souvent, ce sont de vrais fans de Sempé, des gens qui ont un respect total de son œuvre», ajoute-t-il, en précisant que lui n’était pas particulièrement «accro au Petit Nicolas» étant plus jeune, préférant la BD (il cite comme références majeures Lucky Luke et Astérix… deux personnages éternellement liés à Goscinny!). «En revanche, j’aime l’adaptation, tempère-t-il. Partir d’un roman, d’une BD ou d’une série d’albums, ça, ça me parle.»

En plus de l’adaptation stricte, le long métrage s’emploie à raconter le passé des deux «papas» du Petit Nicolas. À travers le personnage qu’ils ont créé, Sempé et Goscinny (dont les voix sont interprétées respectivement par Laurent Lafitte et Alain Chabat, chacun vouant une longue admiration à son personnage) ont couché sur papier leur enfance rêvée, comme une manière de conjurer leurs jeunes années respectives, pas très drôles, marquées, pour Goscinny, par la Shoah et le déracinement, et pour Sempé, par un père alcoolique et austère. Dans leur film, Amandine Fredon et Benjamin Massoubre maintiennent une atmosphère ultrapositive, souvent joyeuse, soutenue par une bande originale jazz signée Ludovic Bource (The Artist, OSS 117…), et enregistrée en partie avec l’Orchestre philharmonique du Luxembourg. «Ce qui était particulièrement sympa sur ce projet, se rappelle Lilian Eche, c’est que ce que l’on ressent dans le film entre Goscinny et Sempé, on le ressentait aussi dans les équipes qui ont fabriqué le film, à tous les niveaux. On est tous devenus copains, en fin de compte. On a fait ce film dans la bonne humeur et on en est très fiers.»

Après avoir veillé sur les différentes étapes du projet, validant ou commentant ce qu’on lui présentait, Sempé a pu voir le film fini. Le producteur du film raconte qu’à ce moment, «il n’était pas suffisamment en forme pour se déplacer au cinéma, donc on est allé chez lui et on le lui a montré sur un écran. Il avait l’œil pétillant. Il y a le dessin, certes, mais il y a aussi l’histoire, qui lui a sans doute rappelé des souvenirs… Pour nous, c’était très troublant. C’est un moment qui nous a donné beaucoup d’émotion.» Une émotion ensuite partagée par les spectateurs à Cannes, Annecy, et désormais dans les salles, avant de s’exporter un peu partout dans le monde…

Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?, d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre.

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