Vingt ans après le déclin spectaculaire du cinéma en Afrique francophone, marqué par la disparition des salles, le secteur renaît dans l’ouest du continent – en particulier au Sénégal et en Côte d’Ivoire, où Netflix prend ses marques – et s’exporte.
Au bout d’une route, au milieu des baobabs, une école dans le centre du Sénégal. «Silence… Action!» La caméra pivote lentement sur son pied, se fixe sur l’acteur principal. L’équipe de tournage retient son souffle. «Coupez!» «C’est parfait!», lance la réalisatrice Leïla Sy, qui tourne Banlieusard 2, suite du premier volet avec le rappeur français Kery James en tête d’affiche. La sortie est prévue dans quelques mois sur Netflix. Assistants, techniciens, acteurs… tout le monde souffle. C’est le dernier jour du tournage, la fatigue se lit sur les visages et la pause déjeuner est bienvenue. Ce midi, poulet yassa, un plat traditionnel.
Le géant américain prend ses marques en Afrique de l’Ouest francophone. Après une longue atonie, la région voit sa production audiovisuelle exploser, portée par le Sénégal et la Côte d’Ivoire. «La lumière fait toute la différence. Je trouve tout beau, la couleur, les gens, l’énergie», s’émerveille Leïla Sy. «Les équipes sont là, les compétences sont là, le Sénégal est en train de se repositionner dans cet écosystème et offre cette possibilité aux producteurs internationaux de venir développer des projets sans soucis», se réjouit Ousmane Fall, coproducteur pour la partie sénégalaise du film.
Dans une salle exiguë d’une clinique de Dakar, un autre groupe, bien plus petit mais motivé, s’active pour boucler le prochain épisode de la série Karma, diffusée localement sur la chaîne TFM. Toute l’équipe a appris le métier sur le tas, comme Souleymane Camara, touche-à-tout de 29 ans. Interprète dans la série, il rêve de passer derrière la caméra. «C’est par la pratique que j’apprends», déclare-t-il.
Il travaille pour Marodi, fer de lance de la production sénégalaise et ouest-africaine de séries. Lancée en 2015, l’entreprise s’est d’abord spécialisée dans le digital avant de migrer sur la plateforme YouTube, où elle compte plus de 4,8 millions d’abonnés et revendique plus de 20 millions de vues chaque mois. Son modèle économique s’appuie sur son contenu local et des spots publicitaires qui génèrent des millions de vues.
Sa clientèle est féminine à 56 % et est regardée à 70 % par la tranche d’âge 18-34 ans. Ses partenariats avec des chaînes de télévision sénégalaises et des distributeurs internationaux comme Canal+ et Amazon Prime lui assurent une grande visibilité, comme pour la série à succès Maîtresse d’un homme marié. «L’ambition de Marodi, c’est d’être producteur de contenus pour toute l’Afrique et la diaspora», dit Julia Cabrita Diatta, directrice commerciale et marketing.
Aujourd’hui, 60 % de ses consommateurs sont au Sénégal, 20 % ailleurs en Afrique, 8 % en France. «On observe en Afrique francophone un décollage de la production en quantité, porté par le Sénégal et la Côte d’Ivoire, et des budgets qui ont énormément augmenté», explique Pierre Barrot, chargé de programme audiovisuel à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Ainsi, les séries au format 52 minutes sont passées d’une douzaine d’épisodes en 25 ans (1992-2017) à une centaine d’épisodes en cinq ans (2018-2022), impulsées principalement par les chaînes Canal+ et TV5 Monde, qui en assurent la diffusion régionale. Ce format demeure moins vu localement que les classiques 26 minutes, aux thèmes le plus souvent sentimentalo-familiaux (le triptyque adultère-héritage-sorcellerie) ou comédie policière.
Canal+ a lancé en septembre sa première série quotidienne en Afrique francophone, Le Futur est à nous, qui relate la vie de plusieurs familles d’un quartier d’Abidjan. Au-delà des séries, l’Afrique francophone – contrairement au Nigeria, première puissance cinématographique continentale – produit très peu de téléfilms et assez peu de films de cinéma, mais la production de comédies populaires pourrait s’accélérer avec la réapparition d’un réseau de salles de cinéma, comme à Dakar et Abidjan, estime Pierre Barrot.
Avec 56 652 entrées payantes dans douze pays, le film Les Trois Lascars, du Burkinabè Boubakar Diallo, distribué par Canal+, est devenu début 2022 le plus grand succès en salle de ce début de siècle en Afrique francophone, selon l’OIF. Un chiffre pourtant minime comparé aux succès des années 1990, où Buud Yam, de Gaston Kaboré, atteignait 500 000 entrées en 1997. C’était avant que le cinéma, autrefois très populaire, ne connaisse un déclin spectaculaire dans les années 2000, marqué par la disparition de presque toutes les salles d’Afrique francophone.
Une nouvelle génération émerge aujourd’hui. L’école Kourtrajmé a ouvert ses portes à Dakar en 2022 pour former aux métiers de scénariste et réalisateur et répondre à la demande du secteur. Les élèves de la première promotion terminent leur cursus, confiants dans l’avenir. «On n’a jamais eu autant de séries. D’ici quelque temps, ça ira encore plus loin. Personnellement, je suis très positive. Il y a beaucoup d’opportunités qui viendront», pense Kenza Madeira, 23 ans, qui veut trouver son équilibre entre actrice et réalisatrice.