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[Cinéma] «Bâtiment 5», l’autre réalité de la vie en banlieue


Ladj Ly confronte le combat d’une militante à l’indifférence des politiques sur la crise du logement en banlieue. Il montre «la réalité du terrain, sans tricher».

Après Les Misérables, place aux «indésirables» avec Bâtiment 5. Le réalisateur français Ladj Ly se penche cette fois sur le mal-logement et les méandres de la politique locale en banlieue.

Ladj Ly vit toujours à Montfermeil, la commune de Seine-Saint-Denis qui l’a vu grandir. C’est là qu’en 2019 se déroulait l’action des Misérables, film choc qui montrait l’embrasement d’un quartier populaire à la suite d’une bavure policière; c’est une nouvelle fois le théâtre de Bâtiment 5, deuxième film de ce que le réalisateur de 46 ans envisage comme une trilogie sur la banlieue.

Qui s’attaque ici à un problème français, dont Montfermeil est devenu le triste symbole : la crise du logement dans le contexte des copropriétés dégradées, soit ces logements dans lesquels les familles modestes se retrouvent coincées, prises dans un cercle vicieux entre explosion des charges et dégradation du bâti. Jusqu’à se voir proposer, des décennies après leur achat, une expropriation par l’État et un relogement en HLM.

«Une belle arnaque organisée», dénonce Ladj Ly, qui a «vu le plan de rénovation urbaine (PRU), un des plus importants en France, se mettre en place, mais aussi comment la population des quartiers en a été victime. L’expropriation des gens avec rachat de leurs appartements à des montants ridicules (…) est une réalité qui m’a marqué. Il faut appeler les choses par leur nom, ça a été une gigantesque arnaque.»

L’immeuble qui donne son titre au film n’est autre que celui où Ladj Ly a grandi; avec ce film, le réalisateur avait «envie de témoigner» de «la gentrification (de) ces quartiers défavorisés où on nous a toujours pointés du doigt, on nous a dit que c’était la zone. Aujourd’hui, ça a pris de la valeur. Et les gens sont obligés de partir, parce qu’ils ne peuvent plus payer.»

David contre Goliath

Au cœur de l’intrigue, deux personnages que tout oppose : Haby (Anta Diaw), jeune femme impliquée dans la vie associative, qui milite pour la sauvegarde et l’amélioration des conditions de vie du quartier, et Pierre Forges (Alexis Manenti), un pédiatre propulsé maire de la commune qui entend poursuivre le travail de son prédécesseur en prévoyant la destruction du bâtiment où Haby a grandi. Ladj Ly filme le combat d’un David contre Goliath en mettant en exergue les rapports de force, souvent violents, entre la municipalité et les habitants.

Si, avec Les Misérables, Ladj Ly avait revendiqué de faire un film «ni probanlieusards ni anticondés», il souligne que ce qui «lie» les trajectoires de ce nouveau film choral, c’est «un constat sur le politique» : originellement titré Les Indésirables, «Bâtiment 5 assure qu’il est temps de repenser les choses».

«Malheureusement, les quartiers, on en a tous entendu parler (…) via les politiques et les médias, et on se rend compte qu’il y a un fossé énorme entre ce qu’ils racontent et la réalité du terrain. Mon rôle d’artiste, c’est de montrer cette réalité-là sans tricher.»

«Élément du système»

Ladj Ly affirme encore que, du côté des politiques, «il n’y a aucune volonté pour faire changer les choses. Les politiques n’en ont strictement rien à faire, et Macron le premier. Après avoir vu Les Misérables, il était touché, bouleversé… Et qu’est-ce qu’il s’est passé? Rien!»

Entre la militante et le jeune maire, d’autres personnages viennent étayer le propos du cinéaste, à l’image de Blaz (Aristote Luyindula), l’ami de Haby qui va laisser sa colère prendre le dessus. Pour Ladj Ly, «il représente la lassitude, puis la folie (…) qui peut s’emparer de ces gens qui, en dépit d’une éducation, se retrouvent dépassés par le désœuvrement puis le désespoir et finissent par vriller».

Plus complexe, le personnage de Roger (Steve Tientcheu), l’adjoint au maire, est «le personnage le plus symptomatique de notre monde politique» : un homme plein de bonne volonté mais ambigu, qui connaît bien la banlieue et ses problèmes sans avoir peur de se salir les mains, ce qui lui a valu une bonne place à la mairie, avant qu’il ne devienne «un élément du système» autoritaire dans lequel sombre la municipalité.

Pour autant, Ladj Ly veut laisser s’exprimer l’espoir venu de la jeune génération et «rend hommage aux cultures» que l’on trouve dans les banlieues, avec «une dizaine de langues» entendues dans le film.

Très loin des plus de deux millions de Français qui avaient vu Les Misérables en salles, Bâtiment 5, sorti début décembre en France, n’a attiré que 165 000 spectateurs. Le contexte y était peut-être pour quelque chose, moins de six mois après la mort du jeune Nahel, tué par un policier en juin 2023, et des émeutes qui ont suivi, dont l’un des points d’orgue fut l’attaque à la voiture bélier du maire de L’Haÿ-les-Roses, dans le Val-de-Marne.

Une scène du film semble prémonitoire, où la résidence bourgeoise du maire est prise d’assaut par un habitant désespéré. «C’est la seule scène qui est fictionnée dans le film», dit Ladj Ly, précisant que le film a été tourné plusieurs mois avant l’affaire Nahel. «Les gens sont surpris, mais tu sens quand ça va dégénérer. Quand les choses s’aggravent, à un moment, la colère prend le dessus», constate-t-il.

Bâtiment 5, de Ladj Ly.

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