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Cali chante Ferré à l’Opderschmelz : « C’est toute ma vie, en fait ! »


Sur la pochette de son nouvel album, enregistré au studio Pigalle - où Léo Ferré a enregistré ses premiers 78 tours - Cali pose avec une guenon (clin d'œil avoué à la «compagne» de l'artiste). Autant de choix qui rappellent tout l'amour qu'il à ce monstre sacré de la chanson française. (©Yann Orhan)

Nouvel album, nouvelle tournée… Cali, 50 ans, affronte ce qu’il appelle son Everest : Léo Ferré, un artiste qui l’accompagne depuis toujours, et qu’il veut partager. Il fera à l’Opderschmelz de Dudelange, ce mercredi à 20h.

À quand remonte votre rencontre musicale avec Ferré ?

Cali : Quand j’étais enfant, j’ai plusieurs fois surpris mon père en train de pleurer devant un disque qui crachait des mots que je ne comprenais pas : c’était Léo Ferré. Plus tard, à l’adolescence, il y a eu cette chanson, Richard, qui dit : « Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles / À certaines heures pâles de la nuit / Près d’une machine à sous, avec des problèmes d’hommes simplement / Des problèmes de mélancolie »… J’ai eu alors l’image de ce loser magnifique, accoudé au bar. J’étais bouleversé par ses paroles. J’ai compris alors que c’était lui le plus grand. J’ai alors embrassé son univers. Depuis tout petit, il n’a finalement jamais été bien loin de moi. Ferré, c’est toute ma vie, en fait !

Après tant d’années à le côtoyer, comment voyez-vous aujourd’hui le personnage, son art ?

Ce que je retiens aujourd’hui, ce qui me touche, au-delà de son œuvre, c’est la vie qu’il a menée, une existence loin d’être lisse. Il a aussi bien flirté avec le soleil qu’avec les ténèbres… Cela, il l’a traduit en chansons, dans la plus grande liberté. J’en ai longuement parlé avec son fils, Mathieu : il m’expliquait que son père a toujours voulu faire de la musique, coûte que coûte. Chef d’orchestre, pop, rock progressif, et même du rap, bien avant l’existence même du genre… Il a touché à tout ! Et de cette avancée sans entrave sont nées les plus belles chansons d’amour, celui puissant, violent, qui arrache le ventre. Ferré, c’est aussi cela.

Quand on est face à un tel monument, un « Everest », comment se l’approprie-t-on ?

Ses chansons, je les ai au fond de moi depuis toujours : je suis, naturellement, parti sur quelque chose de sobre et humble. De toute façon, on n’a pas besoin de gueuler les mots de Ferré. Sa poésie, même quand on la murmure, on peut l’entendre au bout du monde… Pour l’album, ainsi, on l’a joué comme des jazzmen, de façon rapide et efficace. Cinq jours en studio, sans creuser le personnage et sa musique, mais en improvisant.

Vous étiez même au studio Pigalle, où Ferré a enregistré ses premiers 78 tours. Vous avez poussé la filiation jusqu’au bout !

Exactement ! Dans ce laboratoire, j’ai chanté les mélodies, les mots, et les musiciens, à leur manière, se sont calés dans mes pas… et dans ceux de Ferré donc. D’ailleurs, son fils nous a dit : « mon père aurait adoré que l’on s’amuse comme ça de ses chansons ». Qu’on les détruise, en somme, pour amener autre chose.

Pensez-vous partager des traits de caractère – ou certaines philosophies – avec Léo Ferré ?

(Il réfléchit) Il y a quand même un truc très fort chez lui : ce désir de faire exploser les chapelles. Aujourd’hui, quand on fait de la musique, il y a toujours une épée de Damoclès au-dessus de notre tête qui veut que l’on passe à la radio, que l’on doive faire des chansons de trois minutes, pas plus… On vous pousse à rester dans les clous. Lui disait plutôt : « On vit, on meurt, profitons du moment présent, ni Dieu, ni maître, c’est ça l’art ! ». Plus j’avance, plus je me rapproche de cette idée : ne jamais se fixer de quelconques règles avant de commencer quoi que ce soit.

Vous nous avez expliqué comment vous abordiez l’homme. Comment, alors, vous êtes-vous approprié son répertoire ?

C’est la bonne question, car autant l’enregistrement était rapide, autant le choix des morceaux était extrêmement laborieux. La gestation a duré des mois. Je me suis repassé son répertoire, encore et encore… Et sur une centaine de chansons qui m’intéressaient pour le projet, j’en ai retenu vingt. Déjà, j’ai gardé ses propres compositions, et non, par exemple, les morceaux où il chante les poètes. Au final, j’ai choisi le Ferré de Cali, celui de mes souvenirs personnels : Les Anarchistes me rappelle les larmes de mon père, C’est extra un de mes concerts au bal du village, morceau que l’on jouait entre les Clash et les Sex Pistols (il rit).

Grégory Cimatti