L’écrivaine Brigitte Giraud a remporté jeudi le prix Goncourt avec Vivre vite, un retour sur l’engrenage d’événements improbables ayant mené à la mort de son mari. Elle est la 13e femme à recevoir cette récompense.
«Peut-être que les mots aident à conjurer le sort», a réagi Brigitte Giraud après l’annonce du plus prestigieux des prix littéraires francophones. «L’intime n’a de sens que s’il résonne avec le collectif (…) J’ai envie de penser que (les jurés) ont vu cette dimension beaucoup plus large qu’une simple vie intime, qu’une simple destinée.»
La Française est la première autrice à recevoir le Goncourt depuis 2016 et Chanson douce, de Leïla Slimani, et la 13e femme à être récompensée depuis la création du prix, il y a 120 ans. «Ce n’est pas en tant que femme que je reçois le prix, mais en tant que personne qui travaille la littérature depuis des années», a pourtant souligné celle qui, avec Vivre vite, s’inspire du drame de sa vie, le 22 juin 1999, à Lyon, lorsque son mari, Claude, démarre trop vite à un feu, avec une moto trop puissante qui n’est pas la sienne, et tombe. Il ne s’en relèvera pas.
Le président de l’Académie Goncourt, Didier Decoin, a fait pencher la balance au 14e tour d’un scrutin très serré avec sa voix comptant double, préférant Brigitte Giraud à l’autre finaliste, Giuliano da Empoli, et son Mage du Kremlin, un livre «excellent» mais «plus immédiat, en prise directe avec l’actualité, moins romanesque».
Une dizaine de livres
Brigitte Giraud «pose avec beaucoup de simplicité et d’authenticité la question du destin», a ajouté Didier Decoin, attablé chez Drouant, le restaurant parisien où les jurés délibèrent traditionnellement. L’écrivaine «est partie d’un deuil cruel qu’elle a ressenti, qui est poignant. Son livre a quelque chose de tragique», a-t-il encore relevé.
Je n’aurais pas pu écrire (ce livre) avant une période de 20 ans, parce qu’il fallait que je sois à bonne distance
Après la victoire de l’auteur sénégalais Mohamed Mbougar Sarr (La Plus Secrète Mémoire des hommes), l’Académie Goncourt poursuit un certain renouveau avec une autrice pas habituée aux gros chiffres de vente. Lyonnaise, native d’Algérie, Brigitte Giraud a écrit une dizaine de romans, essais ou nouvelles. Elle a obtenu le Goncourt de la nouvelle 2007 pour le recueil L’Amour est très surestimé. En 2019, elle a été finaliste du prix Médicis pour Jour de courage. Malgré tout, l’autrice ne rencontrait que peu de notoriété auprès du grand public. Et elle s’en accommodait très bien.
La liste est longue des professions qu’elle a exercées, après des études de langues (anglais, allemand, arabe) qui devaient faire d’elle une traductrice. Ce qu’elle fut brièvement, pour l’industrie, mais c’est vers la culture qu’elle s’est tournée. «J’ai été un peu libraire. J’ai travaillé comme journaliste, pigiste à Lyon pour Libération. Qu’est-ce que j’ai fait d’autre? Conseillère littéraire pour des festivals… J’ai été éditrice aussi, à un moment. Et j’ai écrit une dizaine de livres», a-t-elle détaillé.
Effets domino
En choisissant sa plus récente publication, Vivre vite, les jurés du Goncourt élisent un récit sobre et sensible, qui a été tout de suite bien accueilli par la critique. En 2001, Brigitte Giraud avait déjà raconté les semaines suivant la mort de son mari dans À présent. Elle l’appelle «le livre de la sidération, de la déflagration, du fracas juste après».
Car elle avait 36 ans, un fils très jeune, une maison qu’ils venaient d’acheter, dans laquelle elle a emménagé sans lui. Pour y commencer son deuil. «J’ai vécu, j’ai publié des livres. J’ai repris pied, malgré tout, même si, dans ces cas-là, on devient quelqu’un d’autre», explique-t-elle aujourd’hui.
Un récit sobre
Dans l’enchaînement des fictions, cet accident attendait son heure. «Je savais depuis longtemps qu’il faudrait que j’écrive le livre. Le livre qui soit à la hauteur de Claude, de notre histoire d’amour, celui qui embrasse tout ça et qui recherche la vérité, toutes les vérités», dit Brigitte Giraud. Mais «je n’aurais pas pu l’écrire avant une période de 20 ans, parce qu’il fallait que je sois à bonne distance».
Quand il a été temps de vendre la maison de Caluire-et-Cuire, à côté de Lyon, l’écriture est venue. Et avec elle, l’envie d’élucider certaines circonstances restées floues pendant de longues années. Le récit, sobre, a très vite attiré l’attention de ses pairs et du public. Comme dans l’accident, fruit d’une chaîne d’événements improbables, «il y a eu, là aussi, un effet domino». Mais «là, il s’est passé de belles choses». Et comme le veut la tradition, Brigitte Giraud repart également avec un chèque de dix euros, que les lauréats du Goncourt préfèrent encadrer plutôt que de déposer à la banque.
Vivre vite, de Brigitte Giraud.
Le Renaudot attribué à Simon Liberati
Le prix Renaudot a été attribué hier à Simon Liberati pour Performance, sur un écrivain septuagénaire qui renoue avec le feu sacré en écrivant un scénario sur les Rolling Stones, et a une relation avec une femme plus jeune que lui de près de 50 ans. Simon Liberati, journaliste, est reconnaissable dans le portrait de ce personnage fou de musique. Il a obtenu six voix, a annoncé Dominique Bona, jurée du prix Renaudot, s’exprimant depuis le restaurant Drouant, où a également été annoncé, quelques minutes plus tôt, le prix Goncourt.
«Tout ce qui est dans ce registre, je ne vous apprendrais pas (…) que c’est rarement prévu», a réagi le romancier de 62 ans, devant la presse.
Né en mai 1960, à Paris, il a notamment collaboré aux magazines FHM et Grazia après des études à la Sorbonne. À 44 ans, il publie son premier ouvrage, Anthologie des apparitions, considéré par beaucoup comme un roman culte sur l’adolescence. Le personnage principal de son deuxième livre, Nada exist (2007), était un photographe de mode décadent. Son troisième roman, L’Hyper Justine, a obtenu en 2009 le prix de Flore. Il raconte l’histoire d’un petit escroc fasciné par une jeune Anglaise mêlée à un projet cinématographique inspiré du marquis de Sade.
En 2011, il remporte le Femina pour Jayne Mansfield 1967, roman qui retrace les derniers jours de l’actrice et pin-up peroxydée, jusqu’à sa mort tragique dans un accident de voiture sur une route de Louisiane. Quatre ans plus tard, Simon Liberati consacre un livre à son ancienne compagne, la romancière Eva Ionesco, qui fut une des habituées de la discothèque très en vogue Le Palace, lieu mythique connu pour ses nuits folles et pour avoir été le berceau de la culture gay parisienne au tournant des années 1980.