La nouvelle est tombée il y a peu : le mythique magazine Métal hurlant, monument de la pop culture et repère fondamental dans l’histoire de la BD, revient en 2021. Son nouveau directeur, Vincent Bernière, raconte cette renaissance-surprise.
Quinze ans après son dernier numéro, le mythique magazine de BD Métal hurlant annonce son retour en kiosque pour 2021. Une renaissance illustrée par une couverture signée du jeune talent Ugo Bienvenu (Préférence système) et portée par Vincent Bernière, écrivain, critique, éditeur, auteur, notamment applaudi pour avoir relancé Les Cahiers de la BD en 2017. Il explique cette nouvelle relance, très attendue par les fans de «SF» et de fantastique.
Redonner vie à Métal hurlant tient-il, chez vous, d’une envie, comme ce fut le cas avec Les Cahiers de la BD, de faire un journal ?
Vincent Bernière : Oui, tout à fait ! J’aime les journaux imprimés. Ce sont de formidables véhicules à histoire. Quand j’étais enfant, je faisais des journaux artisanaux et cette envie ne m’a jamais quitté. Oui, j’ai toujours été friand de presse BD. J’ai découvert la culture dans Strange, Pif Gadget, Métal hurlant et (À suivre).
Étiez-vous un lecteur assidu de Métal hurlant ?
Oui, mais sur la fin car je suis né en 1969. Ma génération, qui a grandi dans les années 1970, a baigné dans la pop culture. Je suis allé voir Star Wars à sa sortie, avec ma grand-mère et The Lord of the Rings de Ralph Bakshi avec mes copains, au cinéma. On en est ressortis morts de peur ! Par ailleurs, j’ai toujours lu beaucoup de BD de science-fiction, même si j’ai mis du temps à comprendre Druillet. Je suis un grand fan de Mœbius, bien sûr, que je considère comme le plus grand dessinateur de BD du XXe siècle. Mais j’ai adoré Arno aussi, Caza, Margerin, Métal aventure dirigé par Fromental…
J’ai bien connu Mœbius et je suis sûr qu’il aurait été enthousiasmé par ce projet
Depuis l’annonce de cette renaissance en 2021, le monde de la BD et de l’édition s’agite. Craignez-vous que l’héritage soit trop lourd à porter ?
Pas du tout, j’avance sans crainte ! Je ne porte pas le poids du passé et mon seul regard est porté sur l’instant présent et, conséquemment, sur l’avenir. J’ai une grande confiance dans l’équipe qui s’est formée. Nicolas Tellop est un rédacteur très brillant et versé, comme moi, sur la vulgarisation de la pop culture. Sabrina Calvo est l’une des plus grandes écrivaines de « SF » française et son collectif, Zanzibar, auquel participe par exemple Alain Damasio, est d’une grande pertinence, au moins du point de vue des idées. Cécile Chabraud est une éditrice avisée et Jerry Frissen représente, d’une certaine manière, une continuité avec l’esprit des origines puisqu’il a lui-même relancé Métal hurlant entre 2002 et 2004. Et je ne parle pas d’Ugo Bienvenu qui peut être considéré, par certains aspects, comme l’un des héritiers direct de Mœbius avec Vincent Perriot ou Timothé Le Boucher. J’ai bien connu Mœbius et je suis sûr qu’il aurait été enthousiasmé par ce projet.
Qu’en pensent les anciens (Dionnet, Druillet…) ? Les avez-vous consultés ?
Druillet s’est exprimé récemment dans Le Figaro. Selon lui, pour relancer Métal hurlant, il faut embaucher des fous. Je veux bien admettre que Druillet se considère comme tel et que Dionnet est un personnage fantasque, mais je ne partage pas ce diagnostic. Nous sommes anticonformistes, subversifs et détestons par-dessus tout l’esthétiquement correct. Mais s’il y a bien quelque chose de changé par rapport à la contre-culture des années 1970 et celle d’aujourd’hui, c’est la perte des illusions. Notre génération vit dans les crises successives depuis 1974. La presse est moribonde et la science-fiction au sommaire du journal télévisé. Nous ne serons probablement pas aussi disruptifs que le Métal hurlant de 1975, mais nous essaierons au moins d’être inventifs. Et pertinents.
Est-ce que notre monde d’après ressemblera à l’une des histoires publiées dans Métal hurlant ?
Que pensez-vous de cette nouvelle génération d’auteurs (talentueux) estampillés « SF », Hugo Bienvenu en tête ?
Que du bien ! On voit bien que la « SF » a toujours quelque chose à raconter. En particulier aujourd’hui. C’est aussi une formidable machine à raconter des histoires de notre temps, ce qu’elle n’a jamais cessé de faire, tout comme le polar ou les autres sous-genres. Maintenant, c’est vrai que la reprise de nos jours a l’air moins incarnée que lorsque nos aînés ont tout bouleversé. Cela dit, eux ne venaient pas non plus de nulle part, ils s’étaient nourris des écrivains américains de « SF », de Mary Shelley, Jules Verne ou Stefan Wul. C’est un mouvement naturel de la pop culture : ce qui était underground devient mainstream puis meurt, avant que quelque chose ne repousse sur le terreau fertile de l’imagination.
L’étrange période que nous traversons tous confirme en tout cas un postulat, celui de dire que la « SF » est bien placée pour parler du monde d’aujourd’hui. Quel est votre avis sur cette idée ?
C’est une idée on ne peut plus pertinente. Nous avons vécu dans un scénario de Métal hurlant ces derniers mois mais je ne crois pas, comme on l’entend ici ou là, que « rien ne sera plus comme avant ». Cependant, des collectifs agissent. La culture n’est qu’un ferment de l’action politique, mais il faut réinventer notre monde. La question, à laquelle personne n’a encore répondu, c’est comment. Mais ça va venir, c’est inéluctable selon moi. Est-ce que notre monde d’après ressemblera à l’une des histoires publiées dans Métal hurlant ? C’est possible, mais dans tous les cas ça sera un hasard. Nicolas Tellop va d’ailleurs produire, dans ce nouveau Métal hurlant, un article au sujet éclairant : le futur périmé. 1984 de George Orwell en est un bon exemple.
Dans ce sens, vous réjouissez-vous du futur ?
Je suis fondamentalement un optimiste, car c’est plus simple pour moi de vivre ainsi. Et puis, mon histoire personnelle a montré que, même lorsque tout paraît sans espoir, et précisément à ce moment-là, des miracles peuvent se produire. Une nouvelle naissance. Une réincarnation. C’est ce que je souhaite à Métal hurlant, en tout cas !
Entretien avec Grégory Cimatti
Publié de janvier 1975 à juillet 1987, Métal hurlant est porté par Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet et Jean Giraud (alias Mœbius), rejoints ensuite, et pour quelques années, par Bernard Farkas. Ce qui les anime ? Pousser la BD dans ses limites – en faisant exploser les cadres, les dessins et la narration – pour lui donner les moyens d’être sans tabous et, dans le même sens, de devenir adulte. Tous les plus grands dessinateurs, à partir du milieu des années 1970, ont publié dans les pages de Métal hurlant, apportant un souffle nouveau à la discipline. Une liberté absolue dans le ton et l’esprit qui va faire des petits (comme le magazine (À suivre)) et mettre en avant des auteurs inventifs, aujourd’hui reconnus (Bilal, F’murr, Pétillon, Clerc, Margerin, Crespin, Schuiten, pour ne citer qu’eux). Orienté vers la science- fiction et le fantastique – puis le rock, avec l’arrivée de Philippe Manœuvre en 1976 –, Métal Hurlant va inspirer de nombreux créateurs comme Ridley Scott (Blade Runner), George Lucas (Star Wars), Otomo (Akira)…
Aux histoires principales succèdent des textes, chroniques, histoires courtes, tout aussi avant-gardistes, et ce, sur pas moins de 133 numéros, avant que l’inflation de titres en librairie ne signe le glas de Métal hurlant. Toutefois, la revue reparaît en juillet 2002, toujours chez Les Humanoïdes associés, mais ne convainc pas : deux ans et douze numéros plus tard, l’aventure s’achève à nouveau.
G. C.