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[BD] Vivian Maier, la super «nanny» de la photographie


(photo Dargaud)

Avec tendresse, Marzena Sowa et Émilie Plateau rembobinent l’histoire de Vivian Maier, discrète nourrice passionnée de photo, dont le travail anonyme va lui offrir une célébrité posthume.

C’est une belle et étonnante histoire, que l’on ne voit qu’au cinéma. Sauf que celle-ci a bien existé, d’où la raison du tapage médiatique, à la fin des années 2010, à la suite de la découverte d’un véritable trésor artistique. Soit plus de 135 000 photos (en noir et blanc ou en couleur), de films (super 8 et 16 mm), de pellicules et autres négatifs, réalisés et accumulés au fil des décennies par une parfaite inconnue : Vivian Maier (1926-2009).

Alors que celle-ci termine paisiblement sa vie à Chicago, sans le savoir, ses cartons, résumant une existence entière consacrée à la photographie, finissent aux enchères (pour des raisons de stockage impayé). Deux ans plus tard, alors qu’elle n’est plus, c’est le succès international grâce à la démarche d’un jeune acheteur de 26 ans, John Maloof. La toile s’affole, les musées se l’arrachent, et on la compare vite à Diane Arbus et Robert Doisneau. Mais qui était-elle vraiment ?

Grâce à un film (Finding Vivian Maier, 2013) et, entre autres, un livre-enquête (Vivian Maier révélée, 2021), on en sait aujourd’hui un peu plus sur ce personnage bien plus complexe et nuancé que les apparences ne le montrent. Une figure en «clair-obscur», comme la définissent Marzena Sowa et Émilie Plateau, qui apportent ici leur modeste pierre à l’édifice à la légende.

Dans de fréquents allers-retours temporels, elles lèvent ainsi le voile sur son quotidien, la suivent dans ses balades dans les quartiers (parfois malfamés) de New York et de Chicago en compagnie des enfants qu’elle garde, reviennent sur son enfance déchirée entre la France et les États-Unis, et racontent la solitude d’une femme simple et sans attaches, seulement obsédée par sa collection de journaux et son appareil, un Rolleiflex qu’elle ne quitte jamais.

Elle mitraille compulsivement

Dès les premières pages, les auteures la placent en compagnie des trois garçons qui vont compter le plus pour elle : John, Lane et Matthew, de la famille Gensburg dont elle sera au service comme gouvernante durant plus de dix-sept ans (et qui s’occuperont d’elle, à leur tour, à la fin des années 1990). On est en 1963. L’un d’eux lui fait la remarque qu’elle ne sourit pas beaucoup, ce qui s’observe sur les milliers d’autoportraits qu’elle laissera plus tard en héritage. Mais chez elle, le rire est intérieur, un peu comme un Monsieur Hulot de chez Jacques Tati.

Une façon également de laisser une trace irréfutable dans un monde où elle n’a pas sa place… Car c’est bien avec les enfants qu’elle se sent le plus à l’aise, sorte de Mary Poppins fine, curieuse et pédagogique. Une fois rentrée de ses expéditions urbaines ou bucoliques, sa chambre redevient le lieu de tous les secrets, fermée par un loquet.

Mais Vivian Maier est surtout quelqu’un qui vit dans son époque, et dont le travail reflète les grandes mutations socio-politiques des années 1960-1980. Elle découvre à la télévision la mort de Martin Luther King, immortalise les rues après les émeutes, s’insurge de la guerre du Vietnam et mitraille de manière compulsive tout ce qui se présente devant son objectif : les travailleurs et les gens de la bonne société, comme les mendiants et les marginaux.

Plus que la photographie

Un «vrai» monde qu’elle «mémorise dans sa beauté et sa laideur. Dans tout ce que les gens ne voient pas», dit-elle. De ce portrait émane une évidence : celle, déjà, d’avoir affaire à une femme farouchement libre, indépendante, et profondément intègre. En effet, jusqu’à ce qu’on la découvre, elle n’avait jamais montré ses tirages, parlé de son travail et encore moins été tentée d’en tirer profit.

Avec un scénario qui privilégie l’individu à l’artiste, et à travers un dessin naïf qui déjoue les sauts entre les différentes époques grâce à un code couleur, Marzena Sowa et Émilie Plateau racontent sans lourdeur Vivian Maier, la découverte de ses racines françaises, son humanisme à fleur de peau, ses encombrants déménagements professionnels et même sa découverte du selfie !

Mais le vrai plus de leur ouvrage tient à cette capacité à montrer ce que la photographie ne peut pas : l’avant et l’après. La rencontre avec les modèles, les discussions qui s’ensuivent. Ou ces moments immortalisés sur le vif (illustrés en noir et blanc dans le livre). Et surtout cette capacité à saisir le détail caché, le bon cadrage ou la bonne lumière, qui fait qu’une photographie est réussie ou non. «J’aime les endroits, mais j’adore les envers», avait-elle l’habitude de dire. Le regard unique, à contre-jour, d’une génie désormais reconnue.

Vivian Maier Claire-Obscurede Marzena Soha & Émilie Plateau. Dargaud.

L’histoire

Qui était Vivian Maier, cette «nounou pas comme les autres» dont on découvrit à titre posthume le talent immense de photographe? Elle décède en 2009, à 83 ans, dans le plus grand anonymat. On redécouvre ses photos pleines d’humanité et d’attention envers les démunis et les perdants du rêve américain par hasard dans des cartons oubliés au fond d’un garde-meuble de la banlieue de Chicago. Personnalité complexe et parfois déroutante, femme libre dont le destin s’est écrit entre la France et l’Amérique, elle avait choisi de vivre les yeux grands ouverts…

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