Avec Le Reste du monde et Le Monde d’après, Jean-Christophe Chauzy évoque la fin d’une civilisation. Une histoire de désastre et de filiation à haute tension. Un récit catastrophe angoissant et superbement illustré par un auteur qui raconte comment on passe du«vivre au survivre». Superbe.
On le connaît dans l’autodérision avec Petite Nature (Fluide glacial) ou dans des polars aux ambiances glauques à souhait. Ces derniers temps, Jean-Christophe Chauzy a surpris son monde avec un diptyque angoissant sur la fin d’une civilisation. On y suit Marie et ses deux enfants, qui tentent de survivre après avoir survécu à un séisme monstre dans les Pyrénées. Un cauchemar réaliste où les hommes redeviennent des bêtes aux instincts primaires.
Comment l’humain, dénué de tout, passe-t-il du « vivre au survivre »?, s’interroge l’auteur qui appuie ce scénario original – dans un registre qui ne lui était pas familier – avec une partition graphique grandiose où les personnages sont souvent perdus au beau milieu de décors dantesques. « L’homme est tellement stupide qu’il va continuer à tout massacrer », lâche-t-il « en colère ». Ça méritait bien deux livres. Mieux : deux autres sont annoncés pour les prochains mois.
Le Quotidien : D’où tenez-vous cette envie de catastrophisme?
Jean-Christophe Chauzy : Ces deux ouvrages ne sont pas en effet en raccord avec ce que j’avais fait jusque-là. Si j’ai déjà abordé la notion de catastrophe, c’était plutôt du point de vue social ou à hauteur d’individu, sur son affect, sa destinée. Là, j’avais envie de spectaculaire avec une histoire qui se situe en dehors de la ville. Dessiner des voitures et des immeubles, ça me sortait par les yeux… L’un des déclencheurs a été aussi mes lectures, notamment La Route ( The Road en VO) de Cormac McCarthy.
Avez-vous d’autres références, au vu de la surexploitation du genre, et ce, dans de nombreuses disciplines (BD, cinéma…)?
En BD, non. L’unique référence que j’ai en tête, ça reste Akira . Visuellement, ça secoue! Mais je ne l’ai même pas lu en entier… Pareil pour le cinéma. En revanche, en littérature, je pourrais citer Malevil de Robert Merle, ou des westerns modernes, comme La Veuve , de Gil Adamson.
Qu’est-ce qui vous plaît dans l’univers post-apocalyptique?
(Il coupe) Je n’aime pas le terme, car il renvoie à la Bible. Là, le but était de s’interroger sur ce qui se passe quand on vous retire tout : l’eau, la nourriture, l’électricité, et que les secours n’arrivent pas… L’apocalypse ramène à la fin des temps. Moi, je parle de la fin d’une civilisation basée sur un certain rapport à la consommation, à l’énergie et aux loisirs.
Pourquoi ce choix de placer l’histoire en France, dans les Pyrénées?
Dans tous mes ouvrages, à de rares exceptions près, j’ai toujours parlé des endroits et des personnes que je connais un peu. Et puis, l’idée du Reste du monde et du Monde d’après m’est venue lors de vacances aux Pyrénées. Cette région, c’est notre Far West! Il y a bien des choses à en faire, pour peu qu’elle perde son humanisme, sa civilisation.
Comme dans l’histoire, vous aussi vous avez pris un orage sur la tête?
(Il rigole) Là-bas, quand ça tombe, ça peut être marquant! Il y a des routes coupées, des villages isolés… Parfois, la nature montre que c’est elle qui prend la main. C’est un élément fort sur lequel je voulais insister. Le paysage, c’est même le personnage principal! C’est lui qui dicte le récit et qui attend la réaction des hommes.
Peut-on parler d’une œuvre engagée, d’un point de vue écologique, et sur l’héritage?
L’écologie, c’est un thème qui me travaille à titre personnel. Mais l’idée, au départ, est celle de parler de la notion de sublime. Dire que la nature peut être aussi belle et magnifique que dangereuse… D’où, aussi, mes choix graphiques. Je viens d’une BD où l’on travaille assez près des personnages, surtout dans le polar. Là, le but était, au contraire, de s’éloigner, et de mettre face à face l’échelle humaine et celle géologique.
Et l’héritage?
Oui, je ne peux qu’approuver. Ça me renvoie encore à La Route , qui m’a tant marqué pour cette question-là, et où tout semble perdu. C’est un duo père-fils qui perd son langage – il y a peu de mots échangés entre eux. Et dans ce rapport quasi animal, le père ne songe qu’à préserver, sauver sa descendance. Marie, dans mes deux livres, c’est un peu ça : elle porte en elle cette idée de culture et de civilisation – elle est professeur de français – mais face à la situation, doit prendre une nouvelle fonction : celle de chef de meute, prête à défendre les siens et à se sacrifier pour eux.
En somme, encore une femme forte. Est-ce la marque de fabrique de Jean-Christophe Chauzy?
Pour le coup, s’il y a bien quelque chose de militant dans mon boulot, c’est bien ça! Et si possible, que mes personnages féminins ne soient pas trop érotisés, contrairement à ce qui se fait très souvent dans la BD. Ce ne sont pas des motifs d’excitation pour le public masculin. D’ailleurs, Marie est âpre, pas très sympathique. Mais elle encaisse!
Pour Le Reste du monde et Le Monde d’après , vous avez assuré le scénario comme le dessin. Vous êtes-vous lâché?
Disons que le sujet me le permettait. Le désastre, la nature, la boue qui coule et les rochers qui tombent servent évidemment mieux mon dessin. D’une certaine manière, j’ai dû réapprendre mon métier : je ne pouvais plus composer, ni cadrer de la même manière. Je pouvais étirer et donner à la case la place que je voulais, de manière moins contrainte et moins orthodoxe que dans les récits noirs ou d’autodérision sur lesquels j’ai bossé jusqu’à présent. C’est la découverte des grands espaces!
On vous connaît aussi, parallèlement, sur d’autres projets plus « légers », comme Petite nature (édité chez Fluide glacial). Êtes-vous d’un vrai pessimisme?
Mais dans une série comme Petite Nature , j’aborde aussi ce qui ne va pas dans nos sociétés, sauf que je le fais de manière polie en tapant d’abord sur moi-même, avec un sourire grinçant. Après, c’est vrai que je ne suis pas trop porté sur l’optimisme, mais je ne vois pas comment on peut l’être! L’être humain est le seul animal nuisible de la planète. Plus tôt cette espèce sera détruite, mieux ce sera. Pour autant, j’en fais partie, donc, ma première fonction est de survivre et de profiter. Terrible paradoxe!
Grégory Cimatti
Le Reste du monde et Le Monde d’après, de Jean-Christophe Chauzy. Casterman. Un autre diptyque est prévu pour les prochains mois.