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[BD] Et si elle prenait le pouvoir…


Avec La Présidente, François Durpaire imagine l'accession au pouvoir et les premiers mois de règne de Marine Le Pen en France en 2017. Face à ce scénario «du pire» plausible, la résistance se fait en images, sans caricature ni parti pris.

Sorti avant les attentats de novembre – et relativement discrète jusqu’à la fin de l’année – La Présidente est la BD choc du moment, adoubée par plus de 10 0000 lecteurs en France. Son sujet ? Imaginer la victoire du FN aux prochaines présidentielles et en construire les conséquences politiques,économiques et sociales, le tout, sans caricature ni aucun discours militant. Une piqûre de rappel d’utilité publique en ces temps brumeux.

On veut être pris au sérieux.» Voilà la réflexion sur laquelle insiste François Durpaire, historien et consultant pour BFM TV, qui, à travers La Présidente, BD d’anticipation réalisée avec Farid Boudjellal (dessin), compte montrer ce qu’est réellement le FN – symptôme de la crise identitaire en France – et surtout son programme politique. L’idée, finalement, est simple et efficace : imaginer la prise de pouvoir, aux prochaines présidentielles, de Marine Le Pen et ses ouailles – dont les derniers résultats dans les urnes rendent le postulat de plus en plus plausible – et d’en dérouler les conséquences de la manière la plus juste possible.

«Il ne faut pas montrer que Marine Le Pen est méchante, mais pourquoi elle a tort», explique l’auteur qui, pour se donner encore plus de crédibilité, s’est assuré le soutien de spécialistes (l’économiste Emmanuel Lechypre, les journalistes Wallès Kotra et Ulysse Gosset, le chroniqueur politique Thomas Legrand). Avec lui, donc, le 7 mai 2017, c’est le FN qui, en raison d’une dispersion des voix à droite et d’une abstention record, rafle 50,41 % des voix au second tour… face à la «gauche» de François Hollande. Une véritable déflagration politique, quoique… «Aujourd’hui, les sondages d’opinion vont dans le sens de ce qu’on annonce dans le livre, si Hollande se retrouve face à elle l’année prochaine. Comme quoi on a bien fait notre travail (il rit).»

Derrière l’humour, une véritable inquiétude introduisant, chez François Durpaire, un acte de résistance, qu’il symbolise dans son ouvrage par quatre personnages : Antoinette, 94 ans, ancienne résistante, aidée au quotidien par Fati, jeune femme en situation irrégulière et deux de ses petits-fils, Tariq et Stéphane – ce dernier lance même un blog pour dénoncer les excès du Front national.

Et il y a de quoi faire dans une France aux mesures répressives contre les migrants, aux surveillances extrêmes, aux radios et télés publiques en grève, au fichage ethnique, et définitivement sortie de l’euro et de l’OTAN, comme l’envisage le programme du FN. C’est sur cette base, d’ailleurs, que les conséquences économiques, géopolitiques et sociales sont imaginées : gel des investissements des entreprises étrangères, explosion du chômage, inflation, révolte d’outre-mer… La démonstration est simple, mais saisissante. Une vision du pire qu’explique François Durpaire, qui cherche à «comment s’en sortir par le haut». Entretien.

D’où vous est venue cette idée de BD, disons, d’anticipation ?

François Durpaire : Chez Demopolis, j’avais déjà réalisé une biographie de Barack Obama (L’Amérique de Barack Obama, 2007) avant le parcours qu’on lui connaît. L’éditeur en question, Laurent Hebenstreit, autant inquiet que moi de la montée des populismes d’extrême droite en Europe, m’a alors dit, il y a quelque temps : « Tiens, si on faisait quelque chose sur la France. » Du roman d’anticipation prévu initialement, on est finalement partis sur une bande dessinée grâce à la connexion avec Les Arènes et la rencontre du dessinateur Farid Boudjellal, motivé par le sérieux du projet. Car ici, on ne va pas chercher le sourire du lecteur…

Pour vous, cette accession au pouvoir du FN, est-ce inéluctable ?

À mes yeux, oui. En tout cas, sans forte prise de position politique ni prise de conscience généralisée, on y va tout droit! N’oublions pas qu’en 2002, Jean-Marie Le Pen devait se situer aux alentours de 17 % des votes. Aujourd’hui, malheureusement, c’est bien plus important. On voit des chiffres hallucinants, autour de 45 %. En une quinzaine d’année, ça a explosé! Il n’a plus besoin de 30 points… C’est sûr, ça ne garantit en rien l’accès au pouvoir, mais au vue de cette incroyable ascension, le FN a de beaux jours devant lui, que ce soit en 2017, 2022 ou plus tard. Et ces dirigeants sont jeunes. N’oublions pas que Marine Le Pen a 48 ans!

Avec ce médaillon, sur la couverture de l’album – «Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas» – êtes-vous dans une sorte de pédagogie dissuasive ?

Exactement. Cette BD, c’est une arme de dissuasion citoyenne. Et ça ne marche qu’à deux conditions : d’abord, ne pas tomber dans la caricature. C’est ce que j’appelle, à l’instar des lanceurs d’alerte, une politique de la vigilance. Ensuite, il ne faut pas insulter les électeurs du FN qui, rappelons-le, est le premier parti de France en termes de corps électoral. On ne peut pas seulement aller chercher les abstentionnistes, mais aussi aller vers ces personnes en leur disant que voter Marine Le Pen ne leur procurera qu’une petite jouissance sur quelques jours. Certes ils verront la classe politique traditionnelle déconfite, mais après, ils seront avec le FN pendant cinq ans!

Pour vous, adhérer au FN reste donc un vote de colère…

Oui, selon moi, on n’est pas dans un vote d’adhésion. La colère reste le moteur, le cœur de nombreux votants. Mon but est alors de montrer ce que le FN promet dans son programme, et l’appliquer à la lettre. La France ne sombrerait pas en une semaine, mais en tout cas, ça ne sera guère réjouissant : plus de chômage, une économie encore plus au ralenti… La crise que l’on connaît déjà ne serait qu’amplifiée sur les plans économique, social et, bien évidemment, identitaire.

Quelle France est la vôtre ?

On la lit dans la BD. Ce sont les idéaux de quatre personnages qui l’incarnent. Une France que décrit Fati dans sa lettre : un pays transgénérationnel, de la résistance et, bien sûr, de la diversité. Qui ne confond pas unité et uniformité. Souvent, nos diversités sont gommées sous prétexte qu’elles provoqueraient l’éclatement national. Oui, il faut une culture commune, mais pas à n’importe quel prix! On donne souvent les premiers âges de la IIIe République comme ceux de la fondation du sentiment national, alors même qu’à cette époque, on insiste sur la diversité des traditions de notre pays, notamment dans les écoles avec le livre best-seller Le Tour de la France par deux enfants. Pourquoi, aujourd’hui, avons-nous des difficultés à célébrer ces différences, sous prétexte qu’elles menacent l’unité? Il faut reconstruire du collectif, mais pas sur les mêmes bases que propose Marine Le Pen.

Quelles ont été les réactions politiques sur l’ouvrage ?

Du côté des Républicains, certains ont réagi, comme Geoffroy Didier, à qui l’on a attribué, dans la BD, le poste de ministre de Justice. Il a tweeté : « Je ne serai jamais dans le gouvernement de Marine Le Pen! » En même temps, on était en plein dans les régionales (rire). Au FN, par contre, ils ont reçu le mot d’ordre de ne pas en parler. Officiellement, ils n’ont pas lu la BD et ne savent pas de quoi on parle… Officieusement, selon certaines sources, l’entourage de Marine Le Pen se demande s’il n’y a pas une taupe qui aurait lâché des informations. Ce qui n’est pas le cas, bien sûr! Tout ce que l’on raconte est connu. Tout se retrouve, jusqu’au restaurant où elle a ses habitudes…

Propos recueillis par Grégory Cimatti

La Présidente (T1), de François Durpaire et Farid Boudjellal.

Les Arènes BD/Demopolis.

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