La skippeuse remet les voiles et revient sur sa traversée du monde en solitaire lors du Vendée Globe 2020. Une aventure racontée au fil de l’eau et en détail, non sans autodérision.
Se dessiner un destin, aussi fou soit-il, part souvent de pas grand-chose. Ce n’est pas Clarisse Crémer qui dira le contraire, elle qui a longtemps cherché à répondre à la fameuse question : «Que veux-tu faire quand tu seras grande ?». Malgré ses vacances en famille au bord de la mer, la «beauté de la lumière» du littoral et son coup de foudre pour les mouettes (son animal totem), la jeune femme, douée, privilégie ses études et finit à Paris dans une start-up. Mais son «hobby» pour la voile, entamé en 2006 au lycée, va la rattraper, notamment lorsqu’elle tombe amoureuse d’un skipper (Tanguy Le Turquais). Et si lui en est capable, pourquoi pas elle ?
Tout prend une autre dimension quand elle quitte la grisaille de la capitale pour la Bretagne. Compétitrice déterminée, elle suit alors un parcours classique, par étapes, enchaînant les courses sur des bateaux modestes avant de voir plus grand et plus loin. Ses petits sketches en ligne (Clarisse sur l’Atlantique), où elle partage avec humour sa quête de financement et ses aventures maritimes, ne passent pas inaperçus. Un sponsor «gros poisson» flaire le bon coup et lui propose de participer, sous son patronage, au Vendée Globe, mythique circuit autour du monde. Face au défi que constitue ce must de la course en solitaire, elle ne peut refuser…
«La femme la plus rapide du monde»
Comme son nom le dit en creux, J’y vais mais j’ai peur dévoile une double facette de la navigatrice : son goût pour les challenges et, parallèlement, sa capacité à douter de tout – deux états d’esprit qui vont s’affronter tout au long du périple. Si Josiane Balasko lâche l’expression avant de se lancer sur une piste enneigée dans Les Bronzés font du ski, l’appréhension de Clarisse Crémer est d’un autre niveau. Imaginez tout de même l’affaire qui l’attend : dompter un bateau monstrueux (un monocoque de 18 mètres qui peut filer à 40 km/h) et lui faire traverser les zones de navigation les plus dangereuses de la planète, dont le redouté Cap Horn. Le tout sans escale, et sans assistance.
Après des préparatifs courant sur une année et demie, agités par la crise sanitaire, la découverte de son voilier (un Imoca, véritable Formule 1 des mers) et de son équipe, la navigatrice se jette à l’eau le 8 novembre 2020 pour retrouver la terre ferme un peu plus de 87 jours plus tard. Un chrono qui fait d’elle «la femme la plus rapide du monde», battant le record détenu par Ellen MacArthur et entrant dans la légende de la discipline aux côtés de Florence Arthaud et Isabelle Autissier.
D’elle, on se souvient encore aujourd’hui de son discours lors de son arrivée (où elle évoque un «sport mixte», non genré), de son mal de mer (affliction qui touche beaucoup plus de marins qu’on ne le croit) et de sa brûlure à l’entre-jambe, provoquée par une tasse de thé (accident pour lequel elle a failli abandonner).
J’ai eu l’impression de vivre dix ans en trois mois !
Avec l’appui de la scénariste et dessinatrice Maud Bénézit, on en apprend heureusement un peu plus dans un livre détaillé et parfois technique, qui suit de près Clarisse Crémer et explique ce qu’est d’embarquer dans une telle traversée. Au milieu des flots, son quotidien est animé par deux hantises : gérer son embarcation au gré des imprévus (nombreux) et, bien sûr, la faire avancer.
Ce qui implique de prendre en compte de multiples paramètres, comme la météo, l’absence de sommeil, le bruit permanent, la communication avec l’extérieur et les dangers qui planent en permanence sur cette aventure. Ce qui l’a fait passer par de multiples états, des doutes aux angoisses, du dépassement de soi aux petits bonheurs à saisir.
Dans ce «condensé d’émotions» («j’ai eu l’impression de vivre dix ans en trois mois !») sans trop grosses complications jusqu’à son «atterrissage» final aux Sables d’Olonne, Clarisse Crémer arrive à se moquer d’elle-même et de sa «coquille de noix», mais aborde aussi des sujets universels : l’impact écologique de la course (bateaux en carbone, collisions avec des cétacés) et sa condition de femme.
D’ailleurs, en conclusion, elle raconte sa colère face aux organisateurs et à son sponsor (Banque Populaire) qui l’ont gentiment mise au ban de la compétition à la suite de la naissance de son enfant. «Ils sont prêts à assumer le risque d’un trimaran géant, et tous les aléas naturels, techniques et humains liés à la course au large, mais visiblement pas celui de la maternité !», a-t-elle critiqué publiquement. Depuis, elle a trouvé une autre équipe (L’Occitane) et devrait repartir pour son second Vendée Globe en novembre prochain. Avec la détermination qu’on lui connaît.
J’y vais mais j’ai peur, de Clarisse Crémer et Maud Bénézit. Delcourt.
L’histoire
En 2017, à l’âge de 27 ans, Clarisse Crémer se lance dans sa première transatlantique. Le monde de la voile découvre alors une féroce compétitrice et le grand public se met à suivre avec passion les vidéos de Clarisse sur l’Atlantique. Elle s’attaque ensuite au Vendée Globe, l’une des courses au large les plus exigeantes, et le 3 février 2021, la navigatrice termine son premier tour du monde en solitaire en un peu plus de 87 jours. Des doutes à l’exaltation en passant par l’immersion dans l’impressionnante logistique de telles courses, voici le portrait d’une skippeuse hors norme.