Un acteur de seconde zone devient la figure montante d’un parti fasciste. Derrière cette farce au vitriol, Gérard Mordillat raconte les coulisses de la politique, fabrique à images et vaste trompe-l’œil. À deux mois de la présidentielle française, ça tombe bien !
Il avance voûté, engoncé dans son imperméable, les yeux rivés vers le sol, comme s’il portait sur les épaules toute la misère du monde. Comme son pseudonyme l’indique, Ulysse Nobody n’est personne. Ou plus grand-chose. C’est qu’à l’époque, il a eu ses moments de gloire : un prix au Conservatoire et une émission juste à lui, Coucou les Zouzous sur France 3. C’est peu, mais c’est déjà ça, surtout lorsque les opportunités deviennent rares. Quand il ne tue pas le temps avec ses copains intermittents à L’Espérance Bar (un nom qui ne doit rien au hasard), il fait une petite chronique sur les ondes de Radio Plus, jusqu’à celle de trop. Dépressif et un brin porté sur la bouteille, l’acteur est mis à la porte. Sans rien.
Son désarroi et sa colère ne font que s’amplifier quand les portes se referment devant lui. Tout le monde lui tourne le dos (son ami vigile de la radio, son père, son agent, les directeurs de théâtre, les patrons de télévision…) alors que lui veut juste exister. Être quelqu’un. De quoi alors succomber au discours facile d’un ancien collègue, devenu cadre d’un parti fasciste, qui veut le remettre sous la lumière des projecteurs. Un «heureux» coup du sort : pour lui qui a besoin de boulot et de reconnaissance. Pour le président du PFF, Maréchal (toute ressemblance avec la réalité n’est que fortuite), qui voit dans le comédien une figure fédératrice, populaire, rassurante. La machine politique est en marche et ne freine devant rien…
Il fallait s’attendre à ce que 2022, année d’élection présidentielle en France, soit émaillée de récits politiques, à la teneur plus ou moins engagée, et à la qualité plus ou moins prononcée. Ainsi, si certains ouvrages cherchent, dans ce sens, l’approche la plus ouverte possible – à l’instar de Carnets de campagne, écrit à douze mains (voir ci-dessous) –, d’autres parlent de luttes sociales (Res publica), de violences policières (Cas de force majeure), font dans l’analyse historique (Les Représentants) ou celle plus récente (La présidence Macron sous enquêtes). Dans le lot, quelques-uns se penchent enfin sur la montée de l’extrême droite qui, comme on dit d’ordinaire, ronge peu à peu les fondations républicaines : Aux portes du palais, Ils sont partout et, de manière moins «frontale» donc, Ulysse Nobody.
Sur un dessin de Sébastien Gnaedig, dont la naïveté peut au départ surprendre, l’intention de Gérard Mordillat est évidente. D’abord mettre les pieds dans le plat en disant tout haut ce qui doit être dit : non, les partis d’extrême droite, aux idées réactionnaires et racistes, n’ont rien de démocratique, même s’ils sont invités dans les grands médias et appuyés par des «experts». Ils doivent être nommés tels qu’ils sont : des fascistes. D’ailleurs, en coulisses, certains personnages affichent leurs convictions nauséabondes sans retenue. Mais face aux caméras, c’est une autre histoire : le discours est rodé et la cravate bien ajustée, comme quand le soutien d’Ulysse Nobody lui sort sans sourciller : «Mais tout le monde est fasciste aujourd’hui, c’est une mode!».
C’est le second angle d’attaque de l’ouvrage : évoquer ce miroir aux alouettes qu’est la quête de pouvoir, étalant toute la vanité et la perversion de ceux qui veulent y goûter. Dans ce milieu, tout est une question d’image, et par ruissellement, de jeu médiatique, de communication, de buzz, de marketing et de poudre aux yeux, avec les débats sans fin sur l’insécurité et le pouvoir d’achat, comme c’est encore le cas cette année (en vrai). D’abord faire peur pour mobiliser les masses. Les idées et les programmes sauront attendre, comme toujours… Ulysse Nobody qui cherche une scène pour parler et surtout, pour qu’on l’écoute, est à l’image de tous ces citoyens qui se sentent délaissés. Son nom ne sera finalement qu’un slogan parmi d’autres, et lui, une vulgaire marionnette. Rappelons, comme le fait un de ses amis, que tout choix porte à conséquence avec, au bout, le film de Mark Robson, dont le titre résonne comme une menace prophétique : plus dure sera la chute!
Ulysse Nobody,
de Gérard Mordillat
et Sébastien Gnaedig.
Futuropolis.
Plus dure sera la chute
L’histoire
Acteur dévalué, Ulysse Nobody vient de se faire virer de Radio Plus, après une prestation désastreuse en direct. Rejeté de partout, il se retrouve sans travail, sans droits au chômage, sans le sou. Le voici aux abois…
Mais Fabio, un ancien collègue de Radio Plus, travaillant désormais dans la communication, souhaite aider Ulysse : ce dernier milite pour le PFF, le Parti fasciste français, dirigé par Maréchal, candidat à l’élection présidentielle.
Il propose alors à l’acteur de prendre la parole sur la scène du Zénith de Lille où se tient le grand meeting. Cette rencontre va changer son destin. Pour le meilleur, momentanément, et le pire, durablement…