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[Bande dessinée] Nos mondes perdus : Marion Montaigne déterre les dinosaures


De la découverte des fossiles à Jurassic Park, Marion Montaigne remonte l’histoire de la paléontologie et sa représentation. Une leçon qui mêle recherches pointues et gags en rafales.

Grande angoissée, Marion Montaigne a trouvé un remède : plonger jusqu’au cou dans la science pour répondre aux diverses questions existentielles qui la traversent, pour ensuite diffuser ses trouvailles à travers un gros éclat de rire, car la vie, c’est quand même un peu absurde… Une méthode qui va faire sa notoriété de «vulgarisatrice» scientifique, au départ sur un blog, puis dans cinq tomes qui mélangent pédagogie, humour et culture populaire.

Le titre est parlant : Tu mourras moins bête… (mais tu mourras quand même), série adaptée plus tard sur ARTE. Sans son alter ego, le Professeur Moustache, l’auteure s’est encore entichée de deux économistes de gauche (Riche, pourquoi pas toi?, 2013) et d’un spationaute ultramédiatique (Dans la combi de Thomas Pesquet, 2017).

Voilà donc six ans qu’elle est agitée par une autre idée fixe : les dinosaures, sujet plus grand qu’il n’y paraît car, selon ce qu’elle en dit sur le site de Dargaud, ça parle aussi «de la création du monde, de la compréhension de la nature, de la religion, de comment l’humain perçoit ses origines». Comme son extinction promise. Car Marion Montaigne se projette : dans le futur, «est-ce que l’on comprendra ce que l’on était, à quoi on ressemblait?».

Ce qui amène à ces gros lézards, disparus et pourtant réincarnés en «hypster» (Denver, le dernier dinosaure) ou en bestiole capable d’ouvrir des portes avec ses griffes (Jurassic Park). Mais ça n’a pas toujours été le cas et c’est ce que raconte la BD Nos mondes perdus : comment la science, aidée par l’art, a brossé le portrait-robot de ces espèces éteintes.

Tout est parti de la découverte des os et des fossiles, au cœur de l’Europe du XVIIIe siècle, alors sous domination de l’Église catholique. Celle-ci n’imagine pas un seul instant que des créatures aient pu être conçues avant l’homme. Sinon, cela voudrait dire que Dieu s’est trompé en créant, puis en supprimant, toute une espèce.

Impossible! Mais alors, que pouvaient bien être ces immenses squelettes que l’on trouvait parfois enfouis, jusqu’aux États-Unis? Tour à tour, sur plusieurs décennies, des savants français (Buffon, Georges Cuvier) comme britanniques (William Buckland, Richard Owen) vont définir, nommer et illustrer leurs découvertes, posant les bases de ce qui sera la paléontologie.

Au fil des années et des avancées menant jusqu’au T-Rex moderne, on apprend plusieurs choses : déjà que la femme, aussi talentueuse soit-elle, a été oubliée des manuels d’Histoire, comme ce fut le cas pour Mary Anning, qui découvrait, la «bougresse», des spécimens «exceptionnels» et «entiers» en fouillant la terre. Ensuite, que la science est un long combat qui se gagne avec patience.

Mais aussi en imposant son ego ou son excentricité pour faire mieux que le voisin. «La vérité n’est pas venue d’un coup!», précise encore l’auteure. D’autant plus vrai quand elle est appréciée à hauteur d’humains : «Puisque l’on se considère à la pointe de l’évolution, on a longtemps imaginé que si les dinosaures avaient disparu, c’est qu’ils étaient nuls! Ça devait être de gros patapoufs débiles!», explique Marion Montaigne.

Non, le stégosaure comme le diplodocus ne sont pas plus bêtes que l’homme n’est «exceptionnel». Un constat scientifique qu’elle se plaît à rappeler au terme de 200 pages bien tassées. «On est tout petit dans l’univers, une espèce parmi d’autres et ça fait mal!» de le reconnaître. Elle ajoute, définitive : «On risque vraiment de disparaître. Je suis désolée de le dire!». Tant qu’à faire, autant alors attendre la fin du monde en se marrant, ce que propose comme à son habitude l’auteure qui, à côté d’élans biographiques rares chez elle (notamment sur sa vocation scientifique contrariée), déroule les gags et l’autodérision.

Les «fake news» répondent aux productions Netflix, à Fort Boyard et à Timothée Chalamet, tandis que Freud fait des apparitions (chronologiquement incorrectes) pour parler de narcissisme. Nos mondes perdus est une nouvelle preuve que l’on peut s’instruire sans trop se prendre la tête. Marion Montaigne le fait à notre place. On ne la remerciera jamais assez.

Nos mondes perdusde Marion Montaigne.
Dargaud.

L’histoire

1993, sortie en salles de Jurassic Park et traumatisme total pour la jeune Marion Montaigne, alors âgée de 13 ans. De cette fascination pour ces terribles reptiles d’un âge oublié va naître une obsession pour les fossiles, la science en général, le dessin anatomique, ainsi que quelques angoisses existentielles.

Pour exorciser ses démons, rien de tel que la méthode Montaigne : recherches dans les livres et les musées, humour décapant et interrogations bien senties. Une plongée dans la paléontologie, l’histoire des sciences et, finalement, l’histoire de l’Histoire.