Comme Tolkien et George R. R. Martin, Nicolas Puzenat livre sa fable, plongée dans un Moyen Âge fictif où deux espèces se font face : les Sapiens et les Néandertaliens. Au milieu, des intrigues et des conflits dont l’humanité ne sort pas grandie.
De manière commune aux deux tomes, après la couverture, il y a cette carte qui s’étale et qui intrigue : vu les contours, on est en Europe, précisément entre les XVe et XVIe siècles, mais les noms ne disent rien du tout : la mer de Brumine, la Terre des Nors, Dombrak, Valcarna, le Royaume de Bragne, et tant d’autres. On y trouve aussi des villes et villages, des montagnes et forêts, des figures d’animaux. Sans oublier cette monumentale muraille, cicatrice qui coupe le continent d’est en ouest… Bienvenue dans l’univers de Nicolas Puzenat, qui s’est lancé dans une folle aventure sans limites.
À l’instar des sagas imaginées par J. R. R. Tolkien (The Lord of the Rings) et George R. R. Martin (Game of Thrones), son monde regorge également de personnages, de bêtes, de clans, de guerres, de merveilles et de larmes. Avec une idée de départ originale : mettre face à face deux espèces censées s’être uniquement croisées au début de notre humanité. Soit les Sapiens et les Néandertaliens. Une uchronie qui mêle donc la préhistoire et le Moyen Âge et qui, comme toute fable qui se respecte, a sa propre morale. Celle-ci prend forme dans le rapport qu’entretiennent ces «ennemis» de toujours, aux mœurs radicalement différentes.
Dans le Sud, on trouve ainsi les Mérogs, nos plus proches ascendants. Chez eux, le paysage est désertique, fruit d’une surexploitation des terres. Résultat : la famine et la pauvreté touchent la majeure partie de la population, épargnant seulement les puissants. La situation ne risque pas de s’améliorer depuis que les rivaux du Nord, «des bêtes sans âme» selon eux, ont coupé toute relation commerciale. Car, de l’autre côté du rempart, de Verlagie à Eelbarr, la végétation est fertile, la faune abondante et la technologie profitable. De quoi attiser les convoitises, surtout quand la cupidité et l’obsession du pouvoir guident les actes.
Comme dans toute bonne fable, les parallèles avec notre époque sont nombreux
Avec le premier tome, sorti en 2021, auréolé de succès (et sélectionné pour le festival d’Angoulême l’année suivante), on découvrait la figure centrale de l’histoire, censée rapprocher les deux peuples. On est en 1488 après Kmaresh (le dieu «pendu» du Sud). Timoléon de Veyres et son ami Pontus, deux jeunes médecins diplomates, partent alors vers l’inconnu afin de «déverrouiller» la frontière et permettre aux richesses d’alimenter leurs contrées. Mais ce qu’ils découvrent sur place – un monde progressiste à la sexualité libre, où les genres importent peu, où l’argent n’a pas de valeur et où la nature est essentielle – vont les faire changer de camp.
Mais vingt ans plus tard, après de nombreuses péripéties, le désir de paix et d’échange n’est plus qu’un rêve : Timoléon a disparu (il semble avoir été assassiné), un coup d’État a ébranlé le Nord, les complots, trahisons, alliances et intrigues politiques sont légion, quand ce n’est pas la guerre ou la peste qui font des ravages. Seul espoir de voir les peuples se rapprocher et d’éviter au désastre de s’amplifier : un trio en fuite, dont une princesse, un Homonte (une sorte d’Indien branché animisme et beaux-arts) et l’incontournable Pontus, plus résistant qu’il n’y paraissait.
Évitions d’entrer plus avant dans les détails de quelque 200 pages foisonnantes à souhait pour mieux saluer le talent (et l’audace) de Nicolas Puzenat. Parce que son récit évite tout manichéisme, et que chez les Nors aux traits épais comme chez les Mérogs, il y a de bonnes âmes et des esprits vaniteux. Avec en creux, bien sûr, de multiples parallèles avec notre époque : le rapport à la nature et aux animaux, le fanatisme religieux, la soif d’argent, l’ouverture (ou non) aux autres, la culture, et même la quête du beau. Mégafauna, pour tout ça, a une forme insaisissable, à la fois fiction politique, conte philosophique (voire humaniste) et récit d’aventure «fantasy».
D’un point de vue narratif, l’auteur, pas si expérimenté que ça (on lui doit seulement, avant cela, Espèces invasives, déjà chez Sarbacane), allège le propos à travers l’usage d’un journal de bord et met le lecteur dans l’ambiance avec un joli dessin fait de paysages luxuriants et de bestioles préhistoriques, qui s’affine au cours de l’histoire. Celle-ci, assez pessimiste dans son ensemble, se termine sur de nouvelles contrées à visiter et mettre en lumière. Gageons que Nicolas Puzenat poursuivra sur sa lancée. Il y a encore tant à découvrir.
Mégafauna (t. 1 et 2) de Nicolas Puzenat. Sarbacane.
L’histoire
Pourquoi les Nors, descendants de Néandertal, ont-ils dressé une muraille entre eux et les descendants de Sapiens, coupant tout commerce avec leurs rivaux de toujours? Pour répondre à cette question dont dépend la paix du royaume, Timoléon de Veyres, jeune médecin, doit aller à la rencontre de ce peuple étrange au physique rustre et primitif, mais dont le savoir et les richesses immenses sont convoités par les Hommes… En compagnie de Pontus, l’ami fidèle, «Timo» s’embarque dans un voyage initiatique. Une quinzaine d’années après, ce dernier a disparu et un coup d’État met le monde sens dessus dessous, ballotté entre les complots et une guerre irrémédiable.