Ce devait être le Woodstock de l’Ouest, ce sera finalement le festival de la fureur et du désastre. Retour sur le symbole de la fin du «flower power», illustrée par le dessinateur culte de Walking Dead.
Si, aujourd’hui, les Rolling Stones continuent de parader, de sortir des albums (comme le dernier en date, Hackney Diamonds) et de défier le temps plus de soixante ans après leur naissance, derrière les guitares, la langue pendue et les coups marketing, une cicatrice ne se refermera jamais : l’année 1969. Celle qui a vu d’abord la disparition de Brian Jones, puis le fiasco tragique du festival d’Altamont, organisé par la bande à Keith Richards. Pour certains puristes, d’ailleurs, le meilleur du groupe s’est éteint cette nuit-là.
On est alors début décembre. En réponse au célèbre Woodstock, la côte Ouest des États-Unis décide elle aussi de faire monter les décibels. Malgré des changements de toute dernière minute (notamment le déplacement de Sears Point vers Altamont, en Californie), le rendez-vous se cale sur son jeune modèle et se rêve, comme lui, de célébrer l’amour et le partage. Tous les ingrédients sont réunis : une affiche dingue et gratuite, qui rameute près de 300 000 personnes voulant entretenir la flamme du «flower power».
Sur place, par contre, la situation dérape rapidement. L’amateurisme de l’organisation, la drogue omniprésente et un service d’ordre assuré par des Hells Angels payés en bières (véridique!) forment un cocktail explosif. Défoncés, les spectateurs cherchant à investir la scène se font refouler à coups de queues de billard, battes de baseball et chaînes. Même les groupes ne sont pas épargnés, comme le chanteur de Jefferson Airplane, assommé par un cinglé de la sécurité. Mick Jagger s’est lui aussi pris une droite par un festivalier.
Enregistrés pour les besoins d’un documentaire (Gimme Shelter), tous se souviennent, comme Neil Young, d’un moment totalement «surréaliste», signe de la fin «d’une mode et d’une époque», selon le batteur Charlie Watts. Le bilan est tragique : quatre morts (dont un festivalier poignardé, filmé en plein concert) et des dizaines de blessés. Les artistes expédient leurs sets, d’autres les annulent. Le fiasco est total. «J’ai eu l’impression d’entendre la musique hurler à la mort», dit ainsi l’un des personnages d’Altamont.
J’ai eu l’impression d’entendre la musique hurler à la mort
Car l’auteur Herik Hanna ne voulait pas d’un simple et convenu récit historique, mais d’une fiction, la seule capable d’englober tous les problèmes et tensions de l’époque. Il suit alors cinq amis durant leur long trajet en combi Volkswagen orange jusqu’au cœur de la «fourmilière» qu’est le festival : un vétéran tout juste rentré du Vietnam (Doc), sa copine au caractère bien trempée (Jenny), deux Afro-Américains en rupture avec leurs familles (Leonard et Samantha), ainsi qu’un fils à papa un peu trop porté sur les psychotropes (Schizo).
Au gré de leurs échanges et rencontres, c’est le portrait désenchanté d’une jeunesse que raconte le livre, mais aussi celui dual d’une Amérique écartelée. Avec d’un côté, la mode, les espoirs d’une génération, la musique et la came, dans le pur esprit «peace & love». De l’autre, la guerre du Vietnam où les morts s’entassent à l’autre bout du monde, des présidents assassinés et un autre bien vivant (Nixon), des serial killers et des gourous, le FBI et les Black Panthers… Sans oublier la conquête spatiale, afin de se détacher de ces désastres terrestres.
Cette histoire américaine (dépeinte aujourd’hui comme étant celle où les années 1960 ont perdu leur amour et leur innocence) est illustrée à la manière d’un comics. Assez logique. Pourtant, à sa tête, deux Européens pur jus : le Français Herik Hanna (scénariste, entre autres, de la série Bad Ass) et un Britannique que l’on ne présente plus : Charlie Adlard, dessinateur culte de la saga The Walking Dead (réalisée avec Robert Kirkman).
Habillement, le premier fait monter progressivement la tension, jusqu’à un «twist» final, treize ans après, pas forcément nécessaire si ce n’est pour montrer ce que sont devenus les anciens hippies. Le second, dans un style au pointillisme pop art, privilégie les teintes bleu foncé et grises, parfois soulignées des couleurs explosives des trips d’acide. Avec de l’audace au passage, comme ces pages centrales dépliantes montrant toute l’ampleur d’Altamont, festival ambitieux qui sera finalement celui «des révolutions et des rêves perdus».
L’histoire
6 décembre 1969. Woodstock et la vague du «flower power» ont déferlé sur la côte Est des États-Unis quatre mois plus tôt. En réponse, la côte Ouest décide à son tour de créer un nouveau festival. Les plus grandes stars de l’époque sont censées y participer, à commencer par les Rolling Stones, organisateurs. Hors de question pour Jenny et ses potes de rater le concert du siècle! Dans leur van qui roule depuis Los Angeles, l’ambiance est bon enfant. Peu importe si l’organisation s’annonce un peu fantaisiste, ce qui prime, c’est la musique! Quelque 300 000 personnes sont attendues pour ce rendez-vous qui aura lieu sur la piste automobile d’Altamont, en Californie du Nord. Sauf que peu de temps après l’arrivée du groupe d’amis, une première altercation éclate, ne présageant rien de bon…