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[Bande dessinée] La passion selon Alexandre Clérisse


À travers trois personnages vivant entre le Moyen Âge et un futur proche, l’auteur raconte ce qu’est la passion pour le dessin, du jeu d’enfant jusqu’à en faire son métier. Le tout dans une audace graphique et temporelle dans laquelle on le reconnaît bien.

Alexandre Clérisse aime jouer avec les époques. On l’a ainsi vu triplement à l’œuvre avec son ancien professeur à Angoulême, le scénariste Thierry Smolderen : d’abord avec Souvenirs de l’empire de l’atome (2013), ode à la science-fiction des années 50. Ensuite avec L’Été Diabolik (2016), histoire d’espionnage ancrée dans les «sixties» en forme d’hommage aux «fumetti» italiens et au peintre David Hockney.

Enfin avec Une année sans Cthulhu (2019), sorte de chronique horrifique entre David Lynch et H. P. Lovecraft située au milieu des années 1980. Une appétence pour l’Histoire et ses circonvolutions qui se matérialise également dans le geste, lui qui utilise toujours l’antique logiciel Illustrator, alors que la majorité des dessinateurs sont passés à la tablette graphique.

Oui, Alexandre Clérisse est un auteur singulier, ce qu’il prouve une nouvelle fois avec l’excellent Feuilles volantes, seconde escapade en solo dans la foulée du discret Alfred, Quentin et Pedro sont sur un plateau (2019). Après cette dernière déclaration d’amour au cinéma à la manière d’un Où est Charlie ?, il retourne ici à ce qu’il «connaît le mieux», comme il le dit lui-même : le monde de la BD en général, et celui du dessin en particulier.

Avec, toujours, cette signature si particulière qui le caractérise : un univers géométrique aux couleurs douces et aux cases éclatées, enrobant un récit qui, sous son aspect linéaire, est truffé de trappes et de strates, ouvrant alors plusieurs pistes de lecture. Dans ce sens, son dernier ouvrage «labyrinthique» va plus loin que tous les autres.

Il commence par une question : quel est le point commun entre un moine copiste du XVe siècle, un adolescent des années 80 qui rêve de devenir auteur de BD et une graphiste de 2070 qui raconte des histoires en images à l’aide de la technologie virtuelle ? La réponse est simple : bien que vivant à des siècles de distance, ils sont tous amoureux, fous de dessin et cherchent à percer l’éternel mystère de la création.

Dans le détail, on a Max, un garçon à l’imagination débordante qui, accompagnant son père sur un chantier dans une ancienne abbaye, découvre, cachés sous le plancher, de petits caractères de plomb datant des prémisses de l’imprimerie.

Trois lieux, trois époques, trois artistes pour raconter l’histoire d’un élan créatif!

Des centaines d’années en arrière, on trouve Raoul, un prêtre enlumineur justement confronté à cette révolution technique, et décidé à reprendre l’atelier clandestin d’un imprimeur condamné pour hérésie. Enfin, dans un avenir proche, il y a Suzie, la fille de Max, dessinatrice comme lui, mais en pleine remise en question alors qu’elle enquête sur la mystérieuse disparition de son père… Trois lieux, trois époques, trois artistes pour raconter l’histoire d’un élan créatif ! Seulement, ça n’est pas aussi simple que cela : dans une boucle temporelle et narrative, ce trio s’influence dans des histoires qui s’imbriquent, se mélangent, se complètent, au point de ne plus distinguer ce qu’est la réalité de la fiction…

Ces allers-retours entre passé et futur, qui donnent, il est vrai, parfois le tournis, pourraient se résumer comme une «mise en abyme de mon propre travail», lâche l’auteur sur une minividéo visible sur le site de Dargaud. À la base, une affaire de passion chevillée au corps, celle pour la BD, qui glisse vers différentes réflexions.

«Comment s’exprime-t-elle quand on est enfant, comment en fait-on son métier, comment peut-on la partager avec les autres ?», poursuit Alexandre Clérisse, pour qui les notions d’initiation et de transmission ne sont pas vaines : «C’est du boulot, la BD, il faut pas avoir peur d’y passer sa vie !», lâche d’ailleurs l’un des personnages.

Feuilles volantes survole ainsi les grandes étapes de la création graphique, des premiers pas de l’imprimerie à la numérisation. Un conte, certes original, qui célèbre l’écriture, la page et bien sûr le 9e art, parlant d’enluminures, de crayons, de grammage, de techniques… Aux mots, l’auteur complète par une démonstration stylistique efficace, avec des planches construites avec originalité, parfois à la manière du jeu de l’oie, et des couleurs qui marquent les différents récits (le bleu pour Max, le rose pour Raoul et le jaune pour Suzie).

Histoire de définitivement boucler la boucle, Alexandre Clérisse précise être retourné à la peinture pour cette œuvre, car «la main du créateur reste la plus importante, quels que soient la technique ou le médium derrière le dessin». Décidément surprenant, de bout en bout.

Feuilles volantes,
d’Alexandre Clérisse.
Dargaud.

L’histoire

Trois personnages à trois époques différentes, avec un point commun : ils racontent des histoires avec des images. Un moine copiste du Moyen Âge invente un récit imagé ainsi qu’un procédé d’impression, un jeune garçon au XXe siècle découvre le pouvoir inouï de la bande dessinée et sa fille, au XXIe siècle, vit de la création virtuelle.

Chacun éprouve les nécessités vitales de la création et doit affronter les dangers et autres désillusions propres à son époque…

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