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[Bande dessinée] « Contrition » : le diable au corps


(Photo : denoël graphic )

Après avoir ausculté la face obscure de l’humain, le dessinateur espagnol Keko s’appuie sur un nouveau scénariste pour dévoiler les dessous cruels de l’Amérique puritaine. Noir, c’est noir!

Avec Keko, il ne faut pas s’attendre à un plein de couleurs. Un peu de rouge, de vert, de jaune, tout au plus, mais c’est tout. C’est que son trait, d’un noir d’encre puissant, implacable, quasi gothique, se prête bien à ces histoires qui plongent dans les soubassements de l’âme humaine. Influencé par l’auteur argentin Alberto Breccia, l’un des maîtres du clair-obscur en BD, le dessinateur est le partenaire de choix pour tout scénariste qui cherche à comprendre et mettre en exergue la célèbre pensée de Thomas Hobbes dans son livre Léviathan (1641). «Le loup rugit-il sous notre aimable apparence anthropomorphe?», synthétise Antonio Altarriba dans la préface de Contrition.

Ce dernier, justement, a été le compagnon de jeu de Keko pour une trilogie critique envers la société espagnole, qui leur a assuré une renommée à l’internationale : Moi, assassin (2015, prix de la Critique ACBD), suivi de Moi, fou (2018) et Moi, menteur (2021). Une fiction ancrée dans la ville basque de Vitoria où se mêlent l’art, l’industrie et la politique, avec en son centre, une idée fixe : montrer les hommes dans toute leur noirceur. Tout heureux que le «débat» se poursuive sur ce fil ténu entre «notre bonté naturelle» et son corollaire, «notre méchanceté invétérée», il laisse sa place à un autre scénariste, «l’un des plus grands» de son pays, à l’ambition similaire mais à la tactique différente.

Carlos Portela, connu tant au cinéma qu’à la télévision, change en effet de décor. Place aux États-Unis, plus exactement en Floride du côté de Contrition Village, petite localité peuplée de délinquants et prédateurs sexuels. Ayant pour la plupart purgés leur peine, ils sont toutefois soumis «à vie» aux lois restrictives de l’État, leur interdisant de résider à moins de 1 000 pieds (soit environ 300 mètres) où vivent et jouent des enfants (parcs, écoles, crèches…). D’où l’existence de cette «prison à ciel ouvert», loin de tout. Et d’où ces questions multiples, toujours relayées par Antonio Altarriba : «Qui sont donc ces gens-là? Faucons voraces ou jouets d’une sexualité aussi destructrice qu’irrépressible?». Et surtout, comme le suggère le titre, «sont-ils capables de se repentir?» et, par ruissellement, de «se réinsérer?».

Plutôt que d’aborder frontalement ces réflexions sociales et philosophiques, Carlos Portela les dilue dans un thriller troublant et haletant. On y suit les investigations de Marcia Harris, journaliste en mal de scoop au Palm Beach Sun, un quotidien local. Mais le décès de Christian Nowak, pédophile brûlé dans son sommeil avec un taux élevé d’alcool dans le sang, la lance dans une enquête qui frise à l’obsession et qui ne plaît pas à grand monde : le shérif (et la police en général), son rédacteur en chef, et même son mari. Beaucoup considèrent que ces «ordures» n’ont que ce qu’ils méritent. Pour elle, par contre, «un crime est un crime, quelle que soit la victime!». Au fil de ses recherches, entre squelette et cercueil vide, deux interrogations s’imposent : quel est le prix de la rédemption et, surtout, Nowak est-il vraiment mort?

On est des pommes pourries qu’il faut virer du panier. Mais si le panier était pourri, lui aussi?

S’inspirant d’un cas réel (Contrition existe bien sous le nom de Miracle Village), l’ouvrage pénètre, sans tomber dans le macabre ni le sensationnalisme malsain, dans cette zone de non-droit, dans ces «limbes» où le pardon et l’oubli semblent bannis à jamais. Rappelons qu’aujourd’hui, chaque État américain met à disposition une base de données avec photos des délinquants sexuels (pour l’unique Floride, 40 000 noms sont inscrits sur une liste consultable par tous sur internet depuis 1997). «Dans ce pays, si tu commets un délit sexuel, tu es marqué à vie», dit l’un des pensionnaires, avant de synthétiser sa pensée dans une formule, plutôt adéquate : «On est des pommes pourries qu’il faut virer du panier. Mais si le panier était pourri, lui aussi?».

De cette société puritaine aux dessous nauséabonds, Carlos Portela tisse un thriller qui fonctionne, avec tous les ingrédients nécessaires : un meurtre «trop parfait», des personnages et des univers qui se croisent, du suspense, des flash-back et des mystères, de la manipulation et une vengeance. Pour mettre ses choix en ambiance, il peut compter sur le talent de Keko, toujours à son aise pour plonger le lecteur dans un univers plus noir que noir. Bien que parfois, derrière ses traits hachurés et sa palette à la Soulages, la lumière arrive à s’infiltrer. L’homme ne serait-il pas si mauvais que ça?

Contrition
de Carlos Portela 
& Keko. Denoël Graphic. 

L’histoire

La loi très restrictive de Floride interdit à tout individu condamné pour délit sexuel de vivre à moins de 1 000 pieds d’un endroit où étudient ou jouent des enfants. C’est ce qui fait de Contrition Village un ghetto de pédocriminels, violeurs et harceleurs. Et, forcément, quand une mort bizarre par immolation frappe l’un de ses résidents, l’enquête ne peut prendre qu’un tour de plus en plus noir à mesure qu’elle s’enfonce dans les ténèbres d’une Amérique hantée par le péché…

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