Monument des années 1970, Apocalypse Now est un film total et démesuré à l’image de son réalisateur, Francis Ford Coppola. Florent Silloray rappelle les dessous d’un tournage infernal qui marquera à jamais l’histoire d’Hollywood.
Avec Un tournage en enfer, on reste dans les festivités de Cannes, mais celles de 1979. À cette époque, pour la première fois, deux films se partagent ex æquo la Palme d’or : Le Tambour de Volker Schlöndorff, et surtout Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, qu’à demi satisfait de cette distinction. Le réalisateur américain n’a pourtant pas boudé son plaisir, lorsque devant la presse, il montra son sens de la formule : «Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent et de matériel, et peu à peu, nous sommes devenus fous…».
Derrière le numéro d’acteur, une grosse part de vérité, comme le rappelle Florent Silloray qui, fan de cinéma (on lui doit notamment un livre sur Merian C. Cooper, créateur du premier King Kong), a plongé avec enthousiasme dans les coulisses de ce film devenu mythique, du tournage jusqu’à sa première projection. Son objectif? Déjà se faire plaisir, lui qui concède avoir été «hypnotisé» par ses images «énigmatiques» et ses couleurs dignes des tableaux du Caravage. Ensuite pour en détailler toutes les galères, à travers Sarah Evans, le seul personnage fictif de l’histoire.
Une attachée de production imaginée pour faciliter la narration (en voix off) et être aux premières loges de cette aventure totalement rocambolesque. Un chemin de croix même, déjà montré dans un précédent documentaire d’Eleanor Coppola, le passionnant Hearts of Darkness (1991), considéré comme le premier making of du cinéma. Car il y en a des choses à dire sur ce film! Une œuvre folle, tout en superlatifs, qui a nécessité plus 14 mois de tournage, 12 autres de montage et un budget pharaonique (passé de 17 à 30 millions de dollars). Avec, au bout, 380 kilomètres de pellicules tournées…
Ce film va me tuer!
Au centre de cette entreprise, un homme, Francis Ford Coppola, à la fois génial et dictatorial, révolutionnaire et mégalomane. Auréolé par le succès mondial des deux volets de la saga du Parrain, et grâce à sa société de production American Zoetrope (qu’il a fondée avec George Lucas), il imagine la création libérée de tous les diktats des grands studios. Sa devise : aucun compromis, quitte à mettre son couple, sa santé (physique, psychologique) et ses biens personnels dans la balance. Un être entier pour un film entier qui, comme il le répète dans l’ouvrage, a bien failli le «tuer».
Et pour cause, Apocalypse Now, l’une des «productions les plus extrêmes du cinéma», intégralement tournée en prise réelle, a tout connu : un casting épineux, les frasques et caprices de stars (dont celles de Marlon Brando et de la «tempête» Dennis Hopper), jusqu’à l’infarctus de son acteur principal, Martin Sheen. Sur place, aux Philippines, dans la touffeur de la jungle, le climat est pesant : il y a la boue, la fournaise, l’humidité, les maladies, les typhons (le plateau sera détruit à deux reprises), sans oublier les prises de vues interminables, les dollars qui se perdent, les pressions politiques et financières, un script qui n’a pas de fin, et un paquet de drogues et d’alcool pour contrebalancer.
Voici donc l’enfer à l’origine d’un film culte. Francis Ford Coppola, qui a longtemps cru à un «ratage», a certes laissé des plumes dans l’affaire, mais il a «rendu possible ce projet faramineux parce qu’il y croyait!», approuve Florent Silloray. Avec ses traits aux crayons de couleurs, l’auteur prend le contrepied à cette démesure et fait, lui, dans le minimalisme pour raconter l’œuvre XXL de ce «Napoléon» de réalisateur, qui mène ses troupes comme on part à la guerre, le mégaphone aux lèvres. De la folie et du génie conjugués pour une création hypnotique révolutionnaire, qui marque également la fin d’un cycle avec l’arrivée massive, début 1980, des «pop-corn movies», déjà en germe à ce moment-là (Star Wars, Jaws…). Mais ça, c’est une autre histoire!
Un tournage en enfer,
de Florent Silloray. Casterman.