Après le choc de l’annulation en 2020, le festival d’Avignon compte offrir une 75e édition «exceptionnelle» en juillet avec différents scénarios à la clé. L’excitation est palpable aussi au Luxembourg, mais de notre côté de la frontière, on temporise.
Prévu du 5 au 25 juillet dans la Cité des papes, le festival de théâtre d’Avignon, le plus prestigieux au monde, n’a pas réduit la voilure pour cette année malgré les incertitudes liées aux jauges et au flux des festivaliers. Interrogé sur le protocole sanitaire, le directeur artistique du festival, Olivier Py, a indiqué qu’il «valait mieux se faire vacciner ou être testé négatif» mais uniquement «sur la base de la responsabilité» individuelle des spectateurs. Il a assuré qu’il «n’envisageait pas d’annulation ni de report».
Se disant «raisonnablement optimiste», il a indiqué que le festival travaillait sur trois scénarios. «Le premier serait une jauge normale, et on a encore le droit de l’espérer, le second serait un festival avec une jauge réduite et le troisième serait la possibilité d’une jauge réduite seulement pour les lieux fermés mais normale pour les lieux à ciel ouvert», a-t-il expliqué. «Nous serons prêts avec une jauge à 50 %, à 70 % ou à 100 %», a encore souligné le directeur. «Il y aura 30 représentations en plus, et donc 20 000 places de plus que d’habitude à la vente. C’est un festival vraiment exceptionnel qu’on propose cette année», a-t-il ajouté. Au programme – qui compte pour la première fois 46,5 % de femmes porteuses de projets –, sont prévus 46 spectacles, avec notamment Isabelle Huppert attendue dans la Cour d’honneur du Palais des papes, où La Cerisaie de Tchekhov sera mis en scène par le Portugais Tiago Rodrigues.
«L’éternelle litanie
du je-ne-sais-pas»
Au Luxembourg, la directrice du théâtre du Centaure et vice-présidente de la Theater Federatioun, Myriam Muller, refuse de croire que le festival d’Avignon sera annulé, mais met en doute les possibilités avancées par le directeur artistique : «Olivier Py a fait une annonce comme si de rien n’était, mais tout le monde sait que ça ne pourra pas avoir lieu de cette manière. Simplement parce qu’Avignon en période de festival, c’est noir de monde!» Et de tabler sur une autre solution, selon elle plus probable : «J’ai le sentiment que cette édition sera réduite, avec des spectacles qui seront joués seulement devant les professionnels.» Mais si cela arrive, Myriam Muller «doute que ça dure un mois».
En tout cas, «le « In« n’a absolument pas l’intention d’annuler, simplement pour éviter de faire ça deux années de suite», poursuit Myriam Muller. Et de contrer «l’éternelle litanie du je-ne-sais-pas» en imaginant, comme une boutade, des tests à l’entrée de la ville fortifiée, «comme dans un concert de rock». «Avec cette pandémie, on fait toujours des plans A, B, C… On fait tout l’alphabet et on recommence!», rit-elle. Mais ne manque pas de rappeler que «le « In » est une grosse machine fortement subventionnée, donc ils seront obligés de présenter quelque chose». En France, les théâtres, actuellement fermés au public, sont tout de même accessibles aux professionnels. «Dans un premier temps, ce que les théâtres français espéraient, c’était de pouvoir rouvrir mi-mai, rappelle Myriam Muller, mais ça semble très compromis», à la suite du nouveau confinement en place depuis une semaine. Et juillet arrivera à grands pas…
Programmation
«post-apocalyptique»
La programmation du «In», très fournie, est un éventail de spectacles qui répondent à la «situation actuelle», avec «des utopies, des dystopies et des spectacles post-apocalyptiques», précise Olivier Py. Parmi les invités figurent la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy qui montera un spectacle sur une femme qui fuit le fascisme, d’après le film de Lars Von Trier Dogville, l’artiste espagnole Angélica Liddell qui traitera une pièce sur le matador légendaire Juan Belmonte ou la Belge Anne-Cécile Vandalem qui va conter «un monde en train de disparaître que les plus jeunes devront réinventer». Côté danse, différentes générations et horizons de la danse contemporaine seront au rendez-vous, de la Française Maguy Marin à l’Espagnol Marcos Morau à qui a été confiée la deuxième Cour d’honneur.
Sont prévues également des lectures avec les acteurs Omar Sy et Fabrice Luchini et le sociologue et philosophe Edgar Morin, qui fêtera ses 100 ans en juillet. Le festival d’Avignon, dit le «In», a été fondé en 1947 par Jean Vilar. Parallèlement, le «Off», qui rassemble chaque année près de 1 500 spectacles, s’est dit également «optimiste» pour cet été. Sébastien Benedetto, président de l’association qui gère l’événement (mais qui contrairement au «In» ne donne pas la ligne de programmation), a indiqué qu’il faudra «probablement réduire le nombre de représentations».
AFP et Valentin Maninglia
www.festival-avignon.com
Luxembourg : qui est «in»,
qui est «out», qui est «off»?
Cette année, dans le «In», on trouvera trois coproductions des Théâtres de la Ville de Luxembourg. Soit Lamenta de Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustijnen, Fraternité, Conte fantastique de Caroline Guiela Nguyen, et The Sheep Song par le collectif FC Bergman. En outre, on découvrira aussi une pièce coproduite par la Commission internationale du théâtre francophone (CITF), avec l’aide du Fundamental Monodrama Festival : Autophagies. Histoire de bananes, riz, tomates, cacahuètes, palmiers. Et puis des fruits, du sucre, du chocolat, d’Eva Doumbia.
Du côté du «Off», il est hors de question de tirer un trait sur les deux spectacles luxembourgeois déjà prévus pour l’édition de l’année dernière, Sales gosses, mis en scène par Fábio Godinho et The Hidden Garden de Jill Crovisier. «Pour le moment, tout est encore d’actualité», assure Myriam Muller, reconnaissant néanmoins que toute décision «n’en est encore qu’au stade de rumeur». En espérant que la malédiction qui poursuit la première mise en scène en solo de Fábio Godinho prenne fin à cette année à la Caserne des pompiers d’Avignon, où elle devait être jouée en 2020 : la pièce devait être jouée également «ce week-end à l’Espace Bernard-Marie-Koltès de Metz», rappelle la vice-présidente de la Theater Federatioun.
La création luxembourgeoise, bien que florissante, a encore du mal à se défendre à l’international. Jouer devant un public de professionnels ne serait donc pas l’idéal. «Ce serait positif, nuance Myriam Muller. Ce serait mieux qu’annuler, en tout cas!» Et rappelle que le théâtre du Centaure, qui produit Sales Gosses, et la Theater Federatioun, «sont les derniers à avoir un droit de regard sur ce qui se décide» à Avignon, dans ce qu’elle décrit comme un véritable «château de cartes» qui «monte tellement haut que pour le moment, on ne peut pas savoir à quelle sauce on sera mangés». Une situation qui s’applique aussi, donc, à la pièce de Jill Crovisier. «Si on jouait, même juste devant des professionnels, ce serait extrêmement positif pour le spectacle vivant, les artistes et les danseuses du Luxembourg», affirme Myriam Muller.
La directrice du Centaure conclut en pensant à la situation du Luxembourg, privilégiée par rapport à la France et la grande majorité des pays d’Europe. «Une victoire» qui cache des aspects négatifs : «Nous avons repris dans des conditions qui deviennent très fatigantes : en jouant devant des jauges de quarante, cinquante personnes, les comédiens ne sentent pas le public, ils se sentent seuls…»
V. M.