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Au Louvre, Delacroix révèle ses vraies couleurs


Au fil du temps, huit couches de vernis ont été appliquées sur le tableau pour rehausser les couleurs avant de les noyer dans une masse jaune et terne. (Photo : afp)

Icône française devenue symbole universel, La Liberté guidant le peuple (1830) est sûrement le tableau le plus célèbre du musée après La Joconde. Aujourd’hui, après restauration, il dévoile des surprises longtemps cachées.

Après plus de six mois de restauration, le public du Louvre peut découvrir depuis deux petits jours les vraies couleurs d’une icône mondiale de la peinture : La Liberté guidant le peuple de Delacroix, jaunie par des décennies de couches de vernis et de crasse. «On est la première génération qui va redécouvrir la couleur de Delacroix», se réjouit Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre.

Le tableau qui, en dehors du Louvre, a seulement pu être admiré à son antenne de Lens (Nord) et au Japon en 1999, représente une allégorie de la Liberté : une femme aux seins nus brandissant la cocarde bleu-blanc-rouge sur une barricade au milieu d’insurgés, au cœur de Paris, réalisé par Eugène Delacroix en 1830. «Jusqu’à présent, on perdait la richesse de l’intensité chromatique, les plans, les blancs, les ombres… Tout cela était unifié sous ces couches jaunâtres», souligne ce responsable qui a observé la métamorphose du tableau dans une salle du musée transformée en atelier de restauration.

«Un enchantement»

Car, au fil du temps, huit couches de vernis ont été appliquées sur le tableau pour rehausser les couleurs avant de les noyer dans une masse jaune et terne, dans laquelle «crasse et poussière» ont aussi été emprisonnées, selon lui. Surtout que la dernière restauration importante datait déjà de 1949. La nouvelle a été réalisée dans le cadre d’une campagne lancée en 2019 pour les grands formats du XIXe siècle.

Et c’est une «révélation», dit Sébastien Allard : des gris, noirs, bruns et blancs illuminent à nouveau la toile, de la fumée blanche sort des armes et de la poussière s’élève au-dessus des barricades, le ciel bleu surgit au-dessus des tours de Notre-Dame en arrière-plan comme tous les détails d’une histoire pleine de violence et d’exaltation. «C’est un enchantement de voir apparaître sous le vernis une matière picturale en très bon état avec des touches vibrantes», dit Bénédicte Trémolières, l’une des deux restauratrices sélectionnées pour cette mission.

On a l’impression d’être au coeur de la création

«On a l’impression d’être au cœur de la création», ajoute-t-elle.  «Delacroix a dissimulé partout des petites touches de couleurs bleu-blanc-rouge parsemées de façon subtile comme en écho au drapeau et qui n’étaient plus du tout perceptibles», poursuit sa collègue, Laurence Mugniot, en montrant «la pupille bleue avec une touche rouge» d’un personnage ou le «costume d’un garde suisse». À l’instar d’autres grands formats, l’immense toile (2,60 m de hauteur sur 3,25 m de largeur sans le cadre) n’a pas pu être transportée dans l’atelier du centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF).

Pour évaluer l’ampleur des travaux, les spécialistes se sont appuyés sur «les archives et photos anciennes» et ont réalisé des «analyses minutieuses de la toile, passée aux infrarouges, rayons X et ultraviolets», précise Côme Fabre, conservateur au département des peintures du Louvre, chargé du XIXe siècle. Les restauratrices ont ensuite réalisé des «tests» sur d’infimes parties du tableau. Munies de loupes binoculaires et de microscopes, «elles ont notamment découvert que certaines retouches, dont une trace brune sur la robe de la Liberté, avaient été ajoutées après Delacroix et qu’on pouvait donc les retirer», révèle-t-il.

De nombreux sens

Le tableau est arrivé au Louvre en 1874. Il a toujours appartenu à l’État qui l’a acheté lors de sa première exposition publique en 1831. S’il représente la révolution de juillet 1830, de nombreux sens lui ont toutefois été donnés : «La Révolution, Marianne, la République française, mais surtout la France en général, repris abondamment sur des affiches, au moment de la Libération de Paris en 1944, sur des billets de banque ou des timbres», détaille-t-il.

En 2019, l’artiste Pascal Boyart, qui signe ses œuvres d’un PBOY, avait réalisé, dans l’Est parisien, une grande fresque murale intitulée La Liberté guidant le peuple des gilets jaunes. Car «l’idée géniale de Delacroix, selon Côme Fabre, c’est d’avoir réussi à représenter l’action collective en mouvement, qu’on n’arrête pas, avec des hommes fédérés autour d’une femme, qui incarne l’idée de liberté».