« Nous sommes assis sur une bombe », lance Lucas Azevedo, en scrutant les entrelacs de tubes, tuyaux et valves d’une immense plateforme offshore brésilienne qui pompe le pétrole et le gaz au fond de l’Atlantique.
« Une fuite de gaz pourrait provoquer une explosion, qui ferait de nombreuses victimes », insiste le responsable de la sécurité de ce site opéré par Petrobras, à 240 km au large de Rio de Janeiro. Ancré à 2.240 mètres de profondeur, le complexe « Cidade de Itaguai » est un ancien pétrolier reconverti en plateforme.
Il est situé dans un champ de « pré-sal », gisement aux réserves impressionnantes enfouies sous une épaisse couche de sel, à plusieurs kilomètres de profondeur. L’exploration défie les lois de la nature, avec un arsenal de très haute technologie et surtout des tubes extrêmement longs et solides.
Mais pour Petrobras, le jeu en vaut la chandelle. Les réserves du champ Lula, où est située la plateforme, sont estimées à 8,3 milliards de barils. Il s’agit, de loin, du gisement le plus riche du bassin de Santos, d’où est tiré 40% de la production brésilienne actuelle. Rien que dans le champ Lula, près de 800.000 barils sont extraits par jour.
La plateforme « Cidade de Itaguai » dispose de sept puits, à des profondeurs inimaginables: après plus de 2,2 km sous l’eau, le forage peut atteindre jusque 5 km sous le plancher océanique. Il y a une dizaine d’années, une telle prouesse relevait de la science-fiction. Aujourd’hui encore, elle est réservée aux majors de l’industrie pétrolière.
« Les équipements sont de plus en plus grands, ce qui amène toute une série de complications », explique Johan Vermaak, un Sud-africain qui dirige les opérations de la plateforme. L’accès à la plateforme se fait par hélicoptère. Vue d’un haut, elle ressemble au laboratoire d’un savant fou. La coque du pétrolier est reconnaissable, mais le complexe est truffé d’énormes tubes et d’échafaudages, à tel point qu’on croirait impossible de marcher sur le pont, grand comme trois terrains de football.
Pourtant, les 150 membres de l’équipage s’affairent entre les escaliers et couloirs sans fenêtre pour arpenter les sept étages de l’installation. Maintenue au sol par 24 ancres monumentales, la plateforme est au milieu de l’Atlantique, mais la grande majorité des travailleurs n’ont qu’une vue limitée sur les vastes étendues de bleu.
Une fois à l’intérieur, seul le bruit des vagues leur rappelle qu’ils sont en mer. La plupart d’entre eux travaillent deux semaines de suite, avant de retourner sur la terre ferme pour deux semaines de repos. À bord, ils dorment sur de simples couchettes, dans de minuscules cabines qui offrent comme seul luxe une télévision et une douche chaude.
La plateforme est aussi équipée de deux cabines téléphoniques — internet marche très mal — , une petite salle de sport et une autre pour jouer à la console. À la cantine, des menus riches en protéines pour tenir le choc. Et pas question de boire de l’alcool. Espaces limités, peu de divertissements: la claustrophobie est un problème plus fréquent que les blessures physiques.
« Nous sommes confinés ici, loin de la côte, dans un contexte opérationnel complexe, déjà stressant à lui seul », reconnait Vinicius Ferreira, le médecin de la plateforme. Chaque jour, les quelque 150.000 barils de pétrole pompés sont traités à même le pont. Environ deux fois par semaine, des pétroliers viennent charger l’or noir.
Petrobras, compagnie d’État dont le prestige a été fortement entamé par les scandales de corruption, mise énormément sur le potentiel du « pré-sal ». Selon l’Agence Nationale du Pétrole, la production du bassin de Santos pourrait doubler d’ici 2021, pour atteindre 2,1 millions de barils par jour.
Johan Vermaak estime pourtant que, malgré ces réserves impressionnantes, le « pré-sal » s’apparente plutôt à un « point final » pour l’exploration pétrolière, vouée à laisser de plus en plus la place aux énergies renouvelables. Mais ce n’est pas au long terme que pensent la plupart des hommes et quelques femmes qui travaillent sur la plateforme.
Ils pensent surtout à prendre l’hélicoptère pour rentrer chez eux, en sécurité. Une fois sur la terre ferme, quelle est la première chose qui leur vient à l’esprit? « L’alcool », grogne Johann Vermaak, la voix enrouée.
Le Quotidien/ AFP