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Art public : la main qui chante d’Ettelbruck


Heemechtshand, œuvre d'Aline Bouvy installée à Ettelbruck en 2014. (Photos Christian Mosar)

Pendant les vacances de Pâques, Le Quotidien s’intéresse à l’art public à travers une série rédigée par des spécialistes choisis par l’Association des artistes plasticiens du Luxembourg. Aujourd’hui, le curateur et journaliste Christian Mosar s’interroge : «L’art public peut-il être indépendant, le public peut-il se l’approprier ? Autour d’une œuvre d’Aline Bouvy».

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En septembre 2014, l’on a inauguré, à Ettelbruck, une sculpture monumentale intitulée Heemechtshand. Cette œuvre, conçue par l’artiste Aline Bouvy, a été réalisée en bronze et placée sur la place Marie-Thérèse à Ettelbruck. Il s’agit d’un hommage aux origines de l’hymne national luxembourgeois. Cette œuvre, son histoire et son contexte sont exemplaires pour éclairer une situation actuelle de l’art public au Luxembourg.

Normalement, le thème aurait été incongru pour une œuvre d’art contemporaine. Pourquoi thématiser, en 2014, le sujet de l’État-nation, alors qu’il s’agit d’un concept du XIXe siècle, et l’une de ses expressions symboliques qu’est l’hymne national ? En fait, il s’agit d’une commande issue d’un concours lancé par les autorités municipales. Doté d’un budget conséquent, l’artiste aurait donc pu proposer une œuvre critique par rapport aux questions de l’identité nationale, de son histoire mais aussi de son actualité. Une œuvre d’art qui susciterait une réflexion sur une thématique qui semble toujours faire débat au Luxembourg.

Or ce n’est pas le cas pour la Heemechsthand, qui est une sculpture qui s’impose dans le sens traditionnel du terme. Elle est là pour durer, qu’on le veuille ou non. Bien que le prédécesseur de ce monument, un ensemble de hauts reliefs commémoratifs, ait été enlevé après un demi-siècle de présence sur la place du Kiosk.

Le projet de la Heemechtshand voulait, dès sa conception, éviter l’écueil des drop sculptures. Ces objets qui oscillent entre monument et décoration urbaine et qui sont posés dans les zones piétonnes, ou les parcs publics sans avoir la moindre interaction réelle avec leur contexte, qu’il s’agisse du lieu ou de son public. L’espace public urbain ou semi-urbain est plus que sensible aux interventions à caractère dirigiste. On ne peut s’attendre à un retour d’appréciation si l’on pose des «sculptures» si celles-ci n’ont finalement que peu ou alors aucun potentiel à devenir des objets appréciés par leur public constitué aussi bien de passants que d’habitants dans la ville. Aline Bouvy avait proposé de faire des empreintes des lèvres de quelque 550 bouches, entrouvertes. L’image des bouches chantantes est censée rappeler les chanteurs qui ont entamé la chanson de la Heemecht, un monument pour ce qui en fait est considéré comme un héritage immatériel.

Chanter, un acte banal mais fédérateur

Le monument de la Heemechtshand a cependant du mal à représenter cet aspect participatif de son processus de création, mais aussi de son sujet : le fait de chanter une chanson en groupe, acte social banal mais fédérateur. Son identité esthétique est celle d’un monument classique qui est un lieu de commémoration qui a pour ambition de devenir un lieu de mémoire.

La Heemechtshand cristallise toute une série de problématiques et de facteurs qui déterminent l’art dans l’espace public contemporain. Un contexte aux déterminants multiples et rarement clairement définis : l’implantation dans la ville, ses structures et son histoire ancienne et récente mais aussi son utilisation quotidienne par ses habitants et ses visiteurs. Un projet artistique en espace public se transforme presque immédiatement en une situation dont les facteurs déterminants ne sont, cependant, pas forcément d’ordre sociopolitique. Parfois, il s’agit simplement de jugements de goût. «C’est laid !», une injonction encore récemment fournie comme argumentaire exclusif, lors de la querelle autour d’une sculpture de Henry Moore intitulée Reclining Figure 1969-70 que l’on vient d’installer devant la bibliothèque de la Columbia University à New York. Un groupe d’anciens et d’actuels étudiants exigent l’enlèvement de l’œuvre d’art sous prétexte qu’elle serait «monstrueuse» et «difforme». Ce qui ressemble à un poisson d’avril fait partie d’un nouvel iconoclasme dont les acteurs et leurs intentions sont en général motivés par le simple fait que l’on puisse leur imposer un objet esthétique.

Ces deux exemples constituent la version traditionnelle d’un art posé dans l’espace public. Même s’il y a des réticences et des critiques, ils représentent tout de même les attentes habituelles par rapport au public art, c’est-à-dire la réalisation d’une sculpture apte à subsister dans un parc, sur une place, ou alors dans une zone piétonne.

Mais la notion de public art a considérablement évolué depuis ces 20 dernières années. Il ne s’agit plus simplement de produire du Kunst am Bau ou alors des monuments commémoratifs à caractère plus ou moins décoratif. Les enjeux d’un art contemporain dans l’espace ouvert et démocratique sont ceux de nouvelles formes d’expression, peut-être plus complexes dans leur matérialité et plus subtiles dans leur caractère.

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