Alors qu’il fête bientôt ses 30 ans, le Luxembourg Center for Architecture vient de prendre ses quartiers à Clausen, bien décidé à développer la culture de l’architecture au cœur de la ville, d’en soulever les problématiques… et d’agir.
Coincé entre le Mudam et le Grund, le quartier du Clausen dévoile ses charmes tranquilles : de discrètes maisons et de multiples sentiers enchevêtrés autour desquels sillonnent les coureurs de la pause de midi. Sans oublier, alignés dans un ordonnancement militaire, des brasseries plus ou moins à la page. C’est justement dans une ancienne usine de mise en bouteille de bière que s’est installé depuis le mois dernier le LUCA, dans une soif évidente : celle de développer la culture de l’architecture au cœur d’une ville (et d’un pays) où la problématique du bâti, de sa préservation à son intensification, est urgente à résoudre.
Rappelons que depuis 2006, l’ancienne Fondation de l’Architecture et de l’Ingénierie (NDLR : son appellation lors de sa création en 1992) occupait un bâtiment rue de l’Aciérie, loué à un prix dérisoire et «symbolique» par le propriétaire Paul Wurth – qui entend désormais l’utiliser à ses propres fins. Après de longues recherches, rendues complexes en raison d’importants besoins en surface et d’un budget serré, c’est l’ancien bâtiment industriel – qui a notamment servi de réserve à la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion (CLT) – qui a remporté les préférences.
Reconstruire et non détruire
C’est à l’architecte Tatiana Fabeck, en charge avec Philippe Nathan (du bureau 2001) de la réhabilitation de l’édifice, que LUCA doit sa nouvelle implantation, elle qui avait en mémoire ce «lieu unique et bien situé» après avoir remporté le concours pour la construction d’un hôtel cinq étoiles. Mais la crise financière de 2008 a tué le projet dans l’œuf, et celui, plus tardif, d’y installer une galerie d’art, a connu le même insuccès. C’est donc l’architecture qui a gagné, malgré les contraintes propres à l’endroit. «Il a fallu une bonne dose d’idéalisme pour attaquer ce projet», confirme Tatiana Fabeck, évoquant une «structure en béton colossale» et «deux niveaux reliés par une simple échelle». Même son de cloche chez Philippe Nathan, qui parle d‘«un iceberg de procédure et de normes à respecter».
C’est que le duo et leurs équipes ont attaqué la pierre avec respect, privilégiant la reconstruction à la destruction, et par ruissellement, laissant en état ou recyclant tout ce qui était possible. Après deux ans de travaux, la bâtisse, dénommée Malt (appartenant à M-Immobilier, à la jonction de la rue de la Tour-Jacob et celle de Neudorf) dévoile un double visage «aux multiples possibilités». Soit un rez-de-chaussée «ouvert à différents évènements festifs et culturels» afin de dynamiser le quartier, et un étage de quelque 800 m2, entièrement investis par le LUCA qui y a notamment posé un bar et une bibliothèque (aux 7 000 références), ainsi qu’un espace de stockage pour ses archives et maquettes (dont de nombreuses sont à restaurer).
En route pour la transition socioécologique!
Comme le dit Séverine Zimmer, directrice «intérimaire», tout déménagement implique une «nouvelle dynamique» et un «regain d’énergie». Le LUCA n’en manque pas et compte se saisir de «débats de société importants», selon elle. D’où, pour son ouverture, la belle place consacrée à l’exposition «Eise Buedem», soit celle, quasi à l’identique, présentée en 2018 au pavillon luxembourgeois et proposition «la plus politique» de la 16e Biennale de Venise («The Architecture of the Common Ground»). En l’occurrence, un assemblage de onze projets audacieux (pour ne pas dire radicaux) d’architectes s’intéressant à l’épineuse question de la privatisation du sol.
Florian Hertweck, commissaire et professeur en architecture à l’université du Luxembourg, joue au guide, insistant sur la phrase qui s’impose au bout d’un étroit couloir couvant 8,7 % de la surface d’exposition, soit la même proportion de la part du territoire grand-ducal encore «en possession de la main publique». «C’est une question centrale pour la transition socioécologique», clame-t-il, avec en creux, en effet, des questionnements qui font sens sur les inégalités sociales ou le réchauffement climatique. «Le Luxembourg est avant-gardiste dans ce domaine!», poursuit-il moqueur, conscient de l’apathie du pays dans ce domaine.
«Eise Buedem» prend ainsi de la hauteur, avec un ensemble de bâtiments surélevés, laissant le sol sur lequel ils reposent physiquement et symboliquement libre. C’est le cas des maquettes (à l’échelle 1/33) de l’architecte américain Kevin Roche, qui imagine la Banque fédérale américaine perchée sur quatre piliers de 57 mètres pour laisser, au-dessous, une place à disposition des New-Yorkais. Ou encore cet amas de conteneurs-caravanes, à l’empilement anarchique. Attention, précise Florian Hertweck, l’exposition n’est pas «un plaidoyer pour une ville sur pilotis», mais plutôt un appel à considérer la ressource du sol (rare, indispensable et tellement convoitée) comme un bien commun, «tout comme l’air et l’eau».
Trente ans, l’âge de la maturité?
Plus loin, l’imagination est tout aussi fertile et la question d’économie circulaire tout aussi vivace avec ces modules mobiles (préfabriqués en bois) ultraflexibles, petits appartements pouvant se déplacer au cœur de plus grandes structures favorisant, au sous-sol ou sur le toit, la permaculture par exemple, ou d’autres activités collectives et de loisirs. Des miniatures qui, ces prochains jours, accompagneront des débats et conférences grandeur nature, non pas pour simplement discuter mais pour «commencer à agir», lâche l’autre commissaire de l’exposition, Maribel Casas. En témoignent six panneaux explicités aux verbes autoritaires, «comme autant de manières d’agir sur la problématique» : étendre, contourner, coopérer, communaliser, réguler, imposer.
Il faut dépasser le stade des discussions et agir!
Une preuve supplémentaire que le LUCA compte vivre avec son temps, avec certes un coup d’œil dans le rétroviseur et un autre vers un futur qu’il souhaite plus vertueux. On le retrouvera ainsi à la tête d’un projet estampillé Esch 2022, à travers lequel il invite le public «à soumettre des morceaux d’architecture, des objets, afin de mettre en avant tout un patrimoine», oublié ou détruit, «qui raconte une histoire», précise Séverine Zimmer. Pour ce qui est de l’avenir, un espace pédagogique s’intéressera aux plus jeunes, notamment ceux de l’école primaire juste en face. À l’aise dans son nouvel espace, le Luxembourg Center for Architecture compte enfin s’appuyer sur toutes les forces vives du pays – notamment en approfondissant sa collaboration avec l’Ordre des architectes et ingénieurs (OAI). L’anniversaire des 30 ans, prévu pour la fin d’année, arrive pour ainsi dire à point nommé. Certains parlent d’âge de la maturité. La suite le dira.
L’exposition «Eise Buedem» est visible jusqu’au 14 juin.