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Après la vodka, la Pologne se lance dans le caviar noir


Après avoir inondé le monde avec sa vodka, puis ses fruits et légumes, la Pologne se lance désormais dans le luxe alimentaire avec le caviar, denrée aussi rare que chère.

POLAND-FOOD-GASTRONOMY

 « On produit du caviar frais, non pasteurisé… » (Photo : AFP)

Revêtue de pied en cap d’une combinaison stérile, une ouvrière se penche avec une extrême attention sur un tamis rempli d’oeufs d’esturgeon de Sibérie et de Russie pour en extraire, à l’aide d’une pincette, les restes de gonades qui pourraient altérer le goût du caviar. Dans l’exploitation piscicole de Rus, dans le nord de la Pologne, on ne badine pas avec l’hygiène. « On produit du caviar frais, non pasteurisé, et il faut éviter qu’il entre en contact avec la moindre bactérie », explique Marek Szczukowski, président du conseil d’administration de la ferme. « Le goût du caviar dépend fortement à la fois de la qualité de l’air, de l’eau, de sa température, de la nourriture, mais également de la technologie d’obtention des oeufs », détaille-t-il. L’exploitation prend donc des airs d’hôpital. La salle où six femmes travaillent les précieuses graines, dont la couleur varie du brun doré au noir en passant par l’olive, est digne d’un bloc opératoire. L’ensemble des instruments, les murs, le sol et même le plafond sont en acier inoxydable. Interdiction d’entrer sans avoir pris une douche, sans masque sur le nez et le visage, sans bonnet sur la tête ni combinaison qui recouvre tout le corps. L’air y est renouvelé 20 fois par heure. Chaque nuit, la salle est stérilisée pendant six heures.

> L’eau cristalline

Dehors, dans des canaux alimentés par l’eau cristalline de la rivière Lyna, s’agitent des milliers d’esturgeons, corps élancé et musclé, museau pointu pour l’esturgeon sibérien, un peu plus arrondi pour le russe, plus prisé et bien plus cher. Chaque femelle pèse entre 10 et 20 kilos. Les oeufs représentent quelque 12% de leur poids. Avant d’arriver à Rus, les esturgeons passent les sept ou huit premières années de leur vie dans l’exploitation piscicole de la maison mère, à Goslawice. Situé dans le centre de la Pologne, Goslawice s’étend sur 2.000 hectares de lacs et 500 hectares d’étangs chauffés par la centrale électrique de Konin. « Nous sommes la plus grande ferme piscicole de Pologne et parmi les trois plus importants producteurs d’esturgeon d’Europe », explique Agata Lakomiak-Winnicka, responsable de la promotion. « Nous avons commencé à élever de l’esturgeon en 1992. Depuis 2008, nous fournissions des femelles d’esturgeon aux grands producteurs de caviar en Europe », poursuit-elle. « Elles étaient très recherchées, alors il ne nous restait qu’à lancer notre propre marque, Antonius ».

> Ambitions

Aujourd’hui, quelque 1.000 tonnes d’esturgeon nagent à Goslawice et à Rus. Pratiquement disparu dans la nature à cause de la pêche excessive, l’esturgeon est un poisson protégé par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées (CITES), signée en 1973 à Washington. Les prix du caviar flambent – à partir de 1.700 euros le kilogramme au détail -, poussant plusieurs pays à se lancer dans la pisciculture d’esturgeon. En 2012, quelque 260 tonnes de caviar ont été produites dans les fermes en France, en Italie, mais aussi en Israël ou en Uruguay et même au Vietnam, selon l’Association mondiale de la protection de l’esturgeon. A la ferme polonaise, reste le plus délicat: saler les oeufs. Il faut une longue expérience pour déterminer la quantité exacte de cristaux blancs. « La création du caviar, c’est de l’art. Une recette toute prête n’existe pas », explique M. Szczukowski. Au total, il ne s’écoule pas plus de quinze minutes entre l’extraction de la gonade remplie d’oeufs et la mise sous vide du caviar en élégantes boîtes noires et blanches estampillées Antonius. « Nous voudrions que la Pologne ait sa propre marque de caviar reconnaissable dans le monde », se met à rêver Mme Lakomiak-Winnicka. M. Szczukowski voit, lui aussi, plus loin. « Notre objectif est clair. D’ici une dizaine d’années, nous voulons être le plus grand producteur en Europe et parmi les trois, quatre premiers dans le monde ».

AFP