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Anomalisa : dans la peau d’un parano


Son existence en vaut-elle la peine? Qui est-il vraiment? Qu'est-ce qu'être un être humain? Autant de questions que se pose le personnage Michael Stone, souffrant de crises de psychose et de paranoïa.

Film d’animation, Anomalisa fait événement. Utilisant la technique du stop motion, il présente un homme sclérosé par la banalité de sa vie, où s’invitent le fantastique et la folie.

Quand Charlie Kaufman, scénariste d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind et Being John Malkovich, s’attelle à son tout premier film d’animation, cela donne Anomalisa, une rencontre entre deux solitudes et deux voix.

Il confie avoir été nourri aux livres de Franz Kafka et à l’humour déjanté et gentiment anarchiste des Marx Brothers américains et des Monty Python britanniques. Il a connu, dans les années 1990 à 2000, une décennie d’or en fournissant le matériau pour des films magiques et novateurs à Spike Jonze ( Being John Malkovich et Adaptation ) et Michel Gondry ( Human Nature et Eternal Sunshine of the Spotless Mind )  : du cinéma aussi noir que pop.

En 2008, Charlie Kaufman, qui se présente comme « juif de New York », réalise son premier film, Synecdoche, New York , et y raconte la dépression d’un auteur de théâtre qui est persuadé de passer à côté de sa vie. Un film abstrait, foisonnant et claustrophobe qui, évidemment, ne rencontre pas le succès public. Alors Kaufman va pendant quatre années enchaîner les projets qui, tous, restent au point mort… et puis il y a le miracle, le coup de théâtre.

C’est Anomalisa, le film qui glisse dans la peau d’un paranoïaque, fait événement, et qui, après avoir remporté un Lion d’argent à la Mostra de Venise l’automne dernier, est nommé aux prochains Oscars. Originellement, Anomalisa était une pièce de théâtre écrite pour être entendue  : les acteurs disaient le texte, accompagnés de cartons expliquant l’histoire… Duke Johnson, réalisateur ( Community , 2010) et producteur, rencontre Charlie Kaufman et lui glisse qu’il souhaiterait adapter la pièce au cinéma.

Kaufman lui fait part de sa réticence, il est alors persuadé de l’impossibilité de traduire le texte en images. Dix ans plus tard, Anomalisa débarque dans les salles. L’histoire, elle, n’a pas bougé d’un iota, passant de la scène à l’écran  : Michael Stone, mari, père et auteur respecté de Comment puis-je vous aider à les aider? est un homme sclérosé par la banalité de sa vie. Lors d’un voyage d’affaires à Cincinnati où il doit intervenir dans un congrès de professionnels des services clients, il entrevoit la possibilité d’échapper à son désespoir quand il rencontre Lisa, représentante de pâtisseries, qui pourrait être ou pas l’amour de sa vie… Rien de très original, avouons-le, dans cette affaire –  on dirait du Lelouch! Sauf que, là, le film est signé Kaufman et Johnson…

Tous issus du même moule

D’abord, on est en présence d’un film expérimental. De ces expériences qui font honneur au cinéma et qu’on aimerait voir plus souvent. Parce qu’ Anomalisa propose une forme différente du tout-venant cinématographique entre effets spéciaux dégoulinants et circonvolutions autour du nombril du réalisateur, et un voyage (aussi déconcertant qu’inattendu) dans l’imaginaire d’un créateur qui a utilisé la technique de l’animation stop motion, certes déjà utilisée dans des films comme Wallace et Gromit , mais qui n’avait jusqu’alors jamais restitué un effet d’étrangeté immédiat.

Ensuite, les personnages  : pour ce cauchemar éveillé que vit Michael Stone, Kaufman a décidé que, avec leurs coutures, les visages de tous les personnages seront dessinés à partir du même moule  : « On ne voulait pas lutter contre les techniques qu’on employait, explique le réalisateur. Symboliquement et métaphoriquement, cette décision créative contribuait à ce qu’on essayait de faire et de dire avec ce film .» Homme ou femme, jeune ou vieux, ils s’exprimeront tous de la même voix monocorde en évoluant dans le décor aseptisé de l’hôtel Fregoli dans une ville moyenne, ce qui assure une dimension follement inquiétante.

Enfin, jouant de l’incertitude effrayante sur une frontière floue entre réel et fantasme, Anomalisa se promène dans des contrées où l’on manie la métaphore, le fantastique, la folie… Belle réussite visuelle, Anomalisa est aussi (surtout?) le film de la crise de la quarantaine, de la solitude, de la dépression, de l’amour (de sa quête inexorable) et/ou de l’uniformisation –  des thèmes que l’on trouve aussi tant chez Houellebecq ( Extension du domaine de la lutte ) que chez Lynch ( Lost Highway ). Malins et surdoués, Kaufman et Johnson laissent envisageables toutes les pistes. Au spectateur de choisir la sienne!

Serge Bressan

Anomalisa, de Charlie Kaufman et Duke Johnson. (États-Unis, 1 h 31). Film d’animation.

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