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Alex Reding : «La productivité artistique est toujours là !»


La galerie Nosbaum Reding a beau être fermée, Alex Reding continue de gérer l'endroit, ses clients et ses collections, à distance. (Photo : Archives LQ/François Aussems)

Montreur d’art incontournable au Grand-Duché, Alex Reding se voit obligé, dans la situation actuelle, de revoir ses plans. Sa galerie fermée, il ne chôme toutefois pas et continue de préparer la tenue, pour l’instant possible, de la prochaine Luxembourg Art Week.

Le copropriétaire de la galerie Nosbaum Reding et directeur de Luxembourg Art Week doit gérer la crise de l’art sur fond de crise sanitaire sur plusieurs fronts. Voilà quelques jours, l’Art Week, prévue du 20 au 22 novembre (avec un vernissage la veille de l’ouverture), faisait savoir par un communiqué qu’elle était maintenue, dans une période où même des évènements qui se tiennent à des dates éloignées décident d’annuler. Mais Alex Reding reste réaliste face à la situation actuelle. Pour Le Quotidien, il analyse la situation actuelle et son impact sur le marché de l’art des deux points de vue, différents mais pas forcément opposés, du galeriste et du directeur de foire.

La conjoncture actuelle est-elle différente à gérer pour vous, selon votre casquette ?
Alex Reding : C’est vrai que je ne prends pas les choses de la même manière. Le galeriste a dû d’abord gérer certaines choses par rapport à la configuration de son équipe : il y a eu un congé pour raisons familiales et un autre de mes employés est en congé partiel, en raison de la fermeture de la galerie. Ce sont des choses qui allègent les charges, c’est déjà ça. Puis on travaille à distance, en particulier sur notre présence sur le net. On a du travail à rattraper qui est important et que nous ne faisons pas toujours en temps normal : gérer les fichiers clients, faire l’inventaire du stock…

Vous êtes-vous résigné, au même titre qu’un certain nombre d’autres galeries, à la vente en ligne ?
Il est beaucoup moins facile de vendre une pièce en ligne que de la vendre en live. Normalement, les gens voient l’œuvre, et c’est un plaisir unique que celui d’être confronté concrètement à une pièce, à sa taille… Maintenant, c’est beaucoup plus compliqué. Par contre, j’ai pu travailler par rendez-vous et c’est pas mal. Les gens sont plus décontractés, ils ont plus de temps et de disponibilité. Il n’y a pas que des mauvais côtés.
En général, on a pu garder un bon contact, par exemple via les newsletters, avec nos collectionneurs et nos amis qui nous suivent. On essaie d’envoyer chaque samedi une newsletter de contenu avec par exemple un portrait complet de Tina Gillen, qui vient d’être nommée (NDLR : comme représentante du Luxembourg) à la Biennale (de Venise)… On arrive à produire du contenu assez en profondeur et garder des liens avec les gens qui suivent l’art. Ce n’est pas négligeable.

Est-ce que des réunions de mille personnes seront permises au moment de l’Art Week? Et, si oui, est-ce que tout le monde devra se balader avec un masque ?

Et le directeur de Luxembourg Art Week, que pense-t-il de la situation ?
J’ai un avis mitigé. Parmi nos clients, il y a des galeries dont on ne sait pas si elles vont définitivement mettre la clef sous la porte. Ça, c’est un risque qui est réel. Par ailleurs, il n’y aura probablement pas encore de vaccin en novembre, donc on ne sait pas non plus si l’Art Week pourra avoir lieu. Est-ce que des réunions de mille personnes seront permises à ce moment-là ? Et, si oui, est-ce que tout le monde devra se balader avec un masque ? Si c’est le cas, l’ambiance sera différente, et cela aura forcément une influence sur les ventes. En ce qui concerne la gestion de l’équipe, toutefois, tous les employés de l’Art Week travaillent pour le mois de novembre et le confinement, dans cette optique, n’est pas si dramatique, donc on peut faire beaucoup de télétravail.
Cependant, il y a peut-être aussi des points positifs. Les galeries, tout d’abord, ne font pas du tout ou très peu de chiffre d’affaires pendant cette période, donc il ne peut être que bénéfique pour elles de rencontrer à nouveau les clients à partir de l’automne, et dans cette volonté, l’Art Week est une étape importante, en particulier pour les galeries luxembourgeoises, mais aussi pour celles, internationales, qui ont aussi souffert de l’annulation d’un certain nombre de foires. Ces galeristes ont envie de sortir, de montrer les œuvres de leurs artistes, et peut-être qu’ils auront envie de venir.

On ne fait pas un achat virtuel sur une œuvre physique. Ce n’est pas un Lego que l’on achète pour nos enfants

Le marché de l’art en ligne pendant cette période présente une certaine solidarité entre les galeries ou entre les artistes, mais les galeries plus importantes sont-elles plus visibles que d’autres ?
Il n’y a rien d’anormal. D’un côté, il y a telle galerie qui a un fichier de 5 000 personnes, puis de l’autre, telle galerie avec un fichier de 50 000 personnes, et puis il y a les galeries locales, avec un fichier de 1 000 personnes. Ça ne change pas de la situation normale. Mais le problème n’est pas là, puisque le collectionneur connaît soit la galerie, et dans ce cas il reçoit la newsletter, soit l’article, et dans ce cas, il base ses recherches là-dessus.
Le problème, c’est qu’on ne fait pas un achat virtuel sur une œuvre physique. Ce n’est pas un Lego que l’on achète pour nos enfants. Dans le même ordre d’idées, je ne pense pas que beaucoup de gens aient acheté de voitures en ligne. C’est une question, pour l’acheteur, de sérénité quant au prix de l’œuvre, par rapport à son choix mais aussi par rapport à la période, qui est pleine d’incertitudes, donc on ne dégaine pas aussi vite.

Comment soutient-on les artistes, alors, quand on ne peut ni vendre ni montrer d’œuvres ?
On promeut en permanence leur actualité sur le site, on essaie de faire des visites virtuelles à nos clients collectionneurs et amateurs. Malgré le fait que je ne vends aucune œuvre pour le moment, je ne peux pas non plus soutenir les artistes financièrement. Avec quel argent? La réalité est beaucoup plus dure que ça : faire une expo en galerie, ça coûte déjà pas mal d’argent, et j’aurais dû faire une expo en galerie qui aurait dû ouvrir le 20 mars (NDLR : l’artiste luxembourgeois Steve Kaspar). Elle m’a coûté de l’argent, personne ne l’a vue et je n’ai aucun retour. Donc je ne peux pas acheter des pièces à des artistes simplement pour les faire vivre.
Des passages à vide, on a l’habitude. L’artiste attend de nous que tous les deux ans, le rythme habituel d’exposition pour un artiste, on permette un gros volume de ventes. Pour les quelques expos qui auraient dû avoir lieu maintenant, le problème est plus concret : je peux peut-être combler le manque à gagner d’un artiste sur cette période, mais encore une fois, je ne peux pas le faire pour trente artistes. En ce qui concerne Steve Kaspar, dont on n’a pas pu ouvrir l’expo – donc pas d’articles dans la presse et une promotion qui tombe à l’eau – on voit ce qu’on peut faire.

Qui souffre le plus de la situation actuelle : l’artiste ou le montreur d’art ?
Celui qui a la vitrine souffre plus de la situation que l’artiste, parce que le travail de l’artiste n’est pas périmé, il continue à travailler, et après le confinement, il aura eu un moment de calme, de concentration. Cette situation crée quand même des possibilités, je parle constamment avec des artistes et la productivité est toujours là ! Maintenant, il faut voir en différé combien de clients on pourra récupérer sur ceux qu’on a perdus pendant cette période. Mais si la qualité est là et si l’économie repart, on pourra vendre.
Ce que vous n’avez pas mentionné, c’est la conjoncture générale. On est dans un secteur qui est de l’ordre du plaisir, mais combien d’argent restera disponible en 2020 pour ce plaisir? Tant de gens ont des pertes de revenus, ça c’est un grand problème, qui est accentué sur la scène internationale. On a des scènes avec de belles présences de galeries – Paris, Bruxelles, Berlin, Luxembourg – mais qui vont chercher une partie de leurs recettes sur des rendez-vous avec des clients qui viennent de partout. Dans la situation actuelle, ces gens ne vont pas venir. Viendront-ils en 2021? Combien d’entre eux n’auront pas fait faillite? Nous, on a la chance d’être protégés, d’une certaine manière, et le redémarrage, quand il aura lieu, se fera plus rapidement et entraînera moins de problèmes économiques que dans bien d’autres pays ou continents.

Entretien avec Valentin Maniglia

www.nosbaumreding.lu
luxembourgartweek.lu