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[Album de la semaine] «The Talkies» crache la douleur de Girl Band


Tout est fait pour saisir l'auditeur à la gorge : des hurlements qui lacèrent, des guitares qui crèvent le spectre sonore et une batterie entêtante en mode binaire. (capture YouTube)

Si l’Irlande et sa ville Dublin brillent aujourd’hui par le talent de leur scène dite alternative (Fontaines D.C., The Murder Capital, Just Mustard…), on avait beau scruter les verts panoramas et fouiller le cœur d’obscurs pubs, on ne retrouvait plus la moindre trace de Girl Band, groupe qui annonçait la tendance depuis 2011.

Une série de singles et un EP sortis anonymement (France 98, In My Head, The Early Years) leur fourniront d’abord les clés de l’écurie Rough Trade, avant un premier album porté aux nues par la critique (Holding Hands with Jamie, 2015). Et depuis, plus rien.

Un silence d’autant plus inquiétant que le groupe a propension à en mettre plein les oreilles. Ce quatuor de quatre jeunes garçons, derrière les sourires d’angelots, des chemises bien repassées, un nom trompeur et des allures de gendre idéal, cache bien son jeu. Point de musique «de salon» ici, mais bien un rock électrocuté et en transe, qui fait bouger les corps dans des spasmes incontrôlables.

Adepte d’un free noise orgasmique, Girl Band, entre cri et rage, et à travers une urgence punk – invoquant au passage les esprits de Liars, Captain Beefheart, The Fall, jusqu’aux origines sauvages d’un jeune Nick Cave – s’est finalement écroulé sur les bases qu’il avait lui-même posées et qui avaient fait sa notoriété : trop d’énergie, trop de chaos (sans oublier une trop longue liste de concerts épuisants), ce qui a eu raison de l’état mental de son chanteur Dara Kiely, aboyeur en chef. D’où cette absence de quatre années, qui prend fin avec un disque aux airs cathartiques, sur lequel le chanteur exorcise ses maux profonds, beaucoup plus viscéraux qu’autrefois.

Il suffit d’écouter l’inquiétante introduction, Prolix, où on l’entend respirer de façon frénétique : il faisait en réalité une crise d’angoisse en studio, affection qui l’accompagne depuis de nombreuses années. The Talkies porte en effet en lui cette douleur, quelque chose de maladif, malsain, accentué par son approche radicalement antimélodique – qui n’est pas sans rappeler le free jazz, la no wave, le post-punk. Tout est fait ici pour saisir l’auditeur à la gorge : des hurlements qui lacèrent, des guitares qui crèvent le spectre sonore et une batterie entêtante en mode binaire, ramenant directement à la musique électronique et ses emprunts au rock industriel (Suuns, Swans…).

Autant dire que ce second album est exigeant, quasi conceptuel, et suivre ses folles respirations revient à se perdre dans les dédales d’un labyrinthe sans issue. Après de multiples écoutes, bien malin est celui qui peut dire ce qu’il écoute vraiment. Reste ce seul sentiment, poisseux, de trouble et de mal-être, dont on se défait difficilement. Girl Band sonne avec vigueur les cloches de l’Apocalypse. Qui a dit que c’était d’époque ?

Grégory Cimatti

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