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[Album de la semaine] Show Me the Body brille de mille feux


Ici le hardcore ne fait pas du surplace et s’ouvre sur des horizons nouveaux. (photo DR)

Cette semaine, l’album choisi par Le Quotidien est celui de Show Me the Body intitulé Trouble the Water. Il est sorti le 28 octobre, sur le label Loma Vista.

À la question, essentielle, de savoir si on peut faire du hardcore avec un banjo, Show Me the Body y a déjà répondu depuis belle lurette. Son frontman, Julian Cashwan Trapp, trimballe où qu’il aille cet appareil singulier, habituellement utilisé dans des bals country ou au fond d’un pub irlandais. Porté en bandoulière, à l’instar d’une mitraillette, lui s’en sert comme une arme de destruction massive, calqué sur l’identité du groupe qu’il anime depuis dix ans : des riffs corrosifs et une rythmique punk qui cassent la baraque.

Trouble the Water, troisième album de ces New-Yorkais, ne déroge pas à la règle. Au début, comme à la fin, ainsi qu’au milieu, l’instrument y trouve une place de choix, même s’il faut parfois tendre l’oreille pour le remarquer. Mais inutile de faire briller votre plus belle paire de santiags : ici, la piste de danse est comme un vortex, et la démonstration se passe au cœur du «mosh pit». En y regardant de plus près, ce n’est d’ailleurs pas la seule originalité d’une formation qui s’appuie aussi sur un synthétiseur et des effets électroniques glaçants.

Une preuve supplémentaire que le hardcore ne fait pas du surplace et s’ouvre sur des horizons nouveaux. Comme les autres genres, il mute, se montre plus perméable aux traditions et par ruissellement, plus réceptif à ce qui se fait musicalement tout autour de lui. Les exemples récents – et marquants – ne manquent pas, de Turnstile (et son album Glow On) à Soul Glo (Diaspora Problems). À sa façon, Show Me the Body cultive lui aussi son exotisme, notamment à travers cette capacité à mettre bout à bout différents styles, du metal au noise en passant par le hip-hop.

Réimaginer notre monde brûlant

Oui, la formation de Brooklyn est adepte du brassage, mais pas seulement devant sa table de mixage. Privée, comme beaucoup, de concerts et de relations sociales durant les deux années de pandémie, elle a trouvé refuge au sein du collectif Corpus, fondé dans le Queens en 2021, afin, comme elle le précise, de combattre «l’isolement physique et spirituel». Une initiative (au socle anarchiste) qui propose des résidences d’artistes, des sessions d’enregistrement, des rendez-vous autour de la littérature et même des cours d’autodéfense. Le tout, c’est entendu, dans un esprit communautaire et inclusif.

 

Car derrière ses airs ténébreux, sa musique inquiétante et ces cercueils qu’ils aiment à faire flamber comme autant de feux de joie, Show Me the Body cherche avant tout la lumière et, comme il le dit, à «réimaginer notre monde brûlant». Du moins à son échelle : la ville de New York. C’est elle qui a défini son esthétique, faite de béton et de grisaille. C’est elle qui a façonné sa musique, aussi bruyante et désordonnée que l’environnement qui l’entoure. Mais c’est également elle qui l’a trahi, monstre tentaculaire à la folle mutation, faite d’embourgeoisement rampant et de surpopulation.

Pour Julian Cashwan Trapp, le constat est clair : dans ce monde apocalyptique, il faut trouver un équilibre pour ne pas totalement sombrer. Trouble the Water en est le témoin. Un album tourné vers les laissés-pour-compte et une jeunesse contestataire, à qui Show Me The Body fournit tout le matériel propice à cette émancipation : douze chansons baignées dans une atmosphère menaçante et aux expérimentations payantes, qui agissent comme un défouloir.

Frissonnant de tension, avec ses guitares hurlantes, sa rythmique galopante et son chant plus limpide, le disque s’impose pourtant comme un objet bien plus réfléchi qu’il n’est bagarreur. Faire table rase d’un monde qui s’effiloche ne se fait pas seulement dans le chaos et la violence. D’abord, il faut rassembler, chose qu’espère Show Me The Body, qui y apporte sa modeste contribution. Dans son coin, ajustant ses lunettes rondes, Julian Cashwan Trapp affûte son banjo. La prochaine salve risque de faire à nouveau mal.