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[Album de la semaine] «Saison 00» de Luidji : la mélancolie d’un grand de ce monde


Luidji

Saison 00

Sorti le 23 juin

Label Foufoune Palace / Def Jam

Genre rap / R’n’B

À chaque fois que Luidji lance en plein concert, devant son public d’initiés : «Quel métro? Quel métro?», c’est la salle toute entière qui s’enflamme, démarrant au quart de tour et a cappella le refrain de Foufoune Palace. Le single qui l’a révélé en 2017 – et qui donnera son nom au label de l’artiste – reste encore aujourd’hui l’une de ses chansons signature, mais le rappeur de la région parisienne s’est véritablement trouvé en tant qu’artiste en exposant, sans pudeur et en toute transparence, ses failles, ses forces et l’histoire d’une relation tumultueuse dans un premier album cathartique, Tristesse Business : Saison 1 (2019).

Simplement l’un des meilleurs disques de rap français de la dernière décennie, avec des productions denses et fabriquées sur mesure pour celui qui se pose comme un cas unique dans l’Hexagone. La dureté des paroles tranche avec la douceur de son style caméléon, qui glisse du rap pur à la chanson française, à la bossa nova ou au R’n’B mélancolique qui évoque Drake. Et Luidji de s’entendre dire : «Ton son est super, ta prod est super, ta voix est super, mais, franchement, ce que tu dis là-dedans, c’est trop « trash« 

Et si l’artiste avait à l’époque promis que «la saison 2 arrive», quatre ans plus tard (et deux ans et demi après l’EP Boscolo Exedra, sorti en 2020, avec pour trame une relation-pansement fugace entretenue après sa séparation douloureuse), c’est un autre Luidji qui s’ouvre à nous dans Saison 00. Celui d’avant le succès, qui voulait «que les filles (l)e regardent» et qui hésitait encore entre le foot et le rap, loin de s’imaginer que, quinze ans plus tard, il ferait l’éloge des coups d’un soir et aurait déjà rempli «un Olympia, deux Olympia, un Zénith, deux Zénith». Comme son titre l’indique, donc, Saison 00 se présente comme un «prequel» qui plonge dans la vie du jeune Luidji, avec le ressenti de l’époque et le recul nécessaire à le formuler en mots et en rimes.

Accompagné de la même liberté avec laquelle il évoquait ses vicissitudes amoureuses et sexuelles, Luidji Jordan Alexis, de son nom complet, se rappelle, au long de 14 titres et 37 minutes renversants, cette époque où il portait son baladeur MP3 «comme un bling». Une période qui a entièrement défini celui qu’il est au plus profond de son être, bien plus, donc, que les liaisons dangereuses qui étaient précédemment au centre de sa musique.

Saison 00, c’est le besoin de revenir aux origines pour mieux se comprendre en tant qu’humain et artiste. Sans nier pour autant ses contradictions. Tantôt, il se demande : «Suis-je un homme ou juste une somme de problèmes existentiels?» (Joueur 1), tantôt, il affirme qu’il a «toujours voulu compter parmi les grands de ce monde» (Monde), conscient pourtant que lui, qui n’aimait «ni (s)a peau ni (s)es cheveux», et sa famille étaient «les seuls pauvres dans une ville de riches» (Téléfoot). Pire, qu’il était «le seul re-noi de la classe» avec, pour meilleur ami, un ersatz du Matt Pokora de jadis, avec «des peaux de pêche et des durags, des diamants sur les lobes» (Alexis).

On vogue ainsi dans les années de formation d’un jeune garçon insécure devenu artiste, et Luidji d’embrasser comme jamais auparavant les principes de base du rap, soit des textes où l’intime et le politique se nourrissent mutuellement… sans (presque) jamais rapper! Autant que sa plume, sa voix tendre et mélancolique est son arme de choix – ce qui le fait gentiment frimer en soulignant : «Je ne prends pas de cours de chant.» Mais, à plus forte raison encore que son premier album, Saison 00 est magnifié par son architecture sonore, conçue de main de maître par le «beatmaker» attitré du rappeur, Ryan Koffi.

Le producteur, originaire de Metz – les deux se sont rencontrés en 2017, quand Ryan Koffi, au culot, a contacté Luidji avec un «package» de sons, dont celui qui deviendra le merveilleux Gisèle (Part 4) –, est ici le seul pilote à bord. Les sensibilités musicales, toujours gravées au cœur d’instrumentaux opulents où le «sound design» prend parfois le pas sur la musique, et qui regarde du côté d’un funk langoureux (Cabine), des rythmiques jazz (Miskine) ou encore de la ballade soul (Sérénade). Un disque puissant et enivrant, que Luidji amènera devant le public luxembourgeois le 3 novembre prochain, à la Rockhal.

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