Meridian Brothers
Meridian Brothers y El Grupo Renacimiento
Sorti le 4 août
Label Ansonia
Genre world
À l’heure où de nombreux labels indépendants, portés par de vrais «diggers», œuvrent à la réévaluation de groupes que l’histoire a oubliés, la formation colombienne Meridian Brothers remet au goût du jour El Grupo Renacimiento, groupe de «salsa dura» à la courte existence.
À la faveur de quelques enregistrements dans les années 1970, El Grupo Renacimiento avait réussi à capturer le «zeitgeist» de la capitale colombienne et ce qui tourmentait la jeunesse, dans sa tête et dans son cœur, au temps des premières guérillas révolutionnaires. On comprend que les musiciens, d’orientation marxiste – comme la plupart des groupes armés du pays à l’époque –, n’aient pas fait long feu; dans le pays du narcotrafic, tous les membres du Grupo Renacimiento sont tombés dans la drogue puis, rapidement, dans l’oubli.
C’est du moins ce que raconte la légende, que les Meridian Brothers ont inventée de toutes pièces. C’est le coup de théâtre : El Grupo Renacimiento n’a jamais existé, et le septet mythique est en fait composé de… cinq musiciens, bien vivants! Autour du guitariste Eblis Álvarez, les Meridian Brothers sont devenus, depuis leur formation il y a 25 ans, un pilier de la scène avant-gardiste de Bogotá, mélangeant aux rythmes latino-américains des sonorités allant du rock à la musique électronique expérimentale, en passant par le post-punk et la pop. Dans leur nouvel album, les Meridian Brothers se réincarnent donc en rois ressuscités de la «salsa dura», sous-genre qui privilégie les instruments aux paroles.
Les Meridian Brothers se réincarnent en rois ressuscités de la « salsa dura »
Les Meridian Brothers ont déjà, par le passé, «collaboré» avec des groupes imaginaires; El Grupo Renacimiento n’est pas leur coup d’essai, mais avec ce groupe rêvé, celui qui devait être leur inspiration ultime et la voix d’un pays déchiré par la guerre civile, Eblis Álvarez et consorts s’en donnent à cœur joie. Pour preuve, le titre qui ouvre cet album, La policía, est une salsa endiablée dont les paroles dénoncent les violences policières. «Police pourrie, pas marrant / Anarchie absolue, la solution», dit un refrain à scander en manif tout en dansant des pas chaloupés. L’hymne antiflics ultime ?
Meridian Brothers y El Grupo Renacimiento poursuit ainsi durant 40 minutes des réflexions sur un monde prétendument du passé. Dans Metamorfosis, l’alter ego fictif d’Eblis Álvarez imagine, d’une voix à peine forcée, se réveiller un jour dans la peau d’un robot, demandant à un «frère du futur» de l’aider à trouver «l’illumination» dans un monde «plein de caméras / plein de drones» : de la fausse science-fiction qui met le doigt sur les dérives de la société du «tout électronique», auquel fait aussi écho Descarga profética et son algorithme décrit comme un évènement miraculeux.
D’autres facettes du discours engagé du groupe ont à voir avec l’imminence d’une guerre (Bomba atómica : «Ils veulent l’utiliser / Pour anéantir les peuples») ou encore du «vice qui domine et qui fait de moi son esclave» (Hermana necesito). Ailleurs, Álvarez chante les louanges de la «salsa dura» et de ses musiciens, les «salseros», selon lui de vrais punks (Poema del salsero resentido), avant d’extirper toute la mélancolie qui émane de cette musique du peuple (Triste son).
Musicalement, c’est de la salsa à l’os, jouée par des musiciens en pleine possession de leurs moyens, qui ajoutent ici et là une touche de bachata, de merengue, de cumbia ou de musique jíbara, n’utilisant l’électronique que dans des effets d’écho, pour une légère touche psychédélique.
Ce qui finit de faire de Meridian Brothers y El Grupo Renacimiento un album extraordinaire, c’est qu’il ressuscite aussi un label – véritable, celui-ci : Ansonia Records, créé à New York en 1949 par un immigré portoricain, et jadis label de référence pour la musique latino-américaine. Racheté en 2019 par la «music supervisor» Liza Richardson (The Leftovers, Watchmen, Narcos…), Ansonia signe avec les Meridian Brothers sa première sortie depuis 1990. «¡Ay!»