Accueil | Culture | [Album de la semaine] De l’humanisme en pleine figure !

[Album de la semaine] De l’humanisme en pleine figure !


(Photo : DR)

IDLES nous séduit avec Ultra Mono, sorti sur le label Partisan Record.

Du punk, on retient souvent la maxime «no future», balancée le doigt levé en l’air dans une affirmation, furieuse et déglinguée, d’un individualisme à tout crin et d’un nihilisme de résistance. Chez IDLES, pilier d’une scène britannique qui ne manque pas de représentants énervés, on préfère dégainer d’autres armes, plus légères mais tout aussi difficiles à manier dans une société de repli et d’inimitié : celles de la bienveillance, de l’amitié, de l’humanisme, et en bout de ligne, celle de l’amour. Une philosophie qui tient lieu d’évidence quand on découvre le groupe sur scène, capable de défriser tout le premier rang avec un son ravageur avant d’adoucir son cocktail Molotov par des élans empathiques, tournés vers une foule brûlante et suante. Beaucoup de transpiration et des sourires à la pelle : la recette fait merveille. À l’ombre des studios, l’idée suit son chemin. En 2017, c’est le bien nommé Brutalism qui lançait la charge avec ses guitares hargneuses et sa rythmique explosive, suivi de près par Joy as an Act of Resistance (2018), d’une même intransigeance. Pourtant, entre ses salves contre le Brexit, le fascisme, la bêtise humaine (avouons-le, les sujets ne manquent pas aujourd’hui), Joe Talbot, leader remonté sur ressorts, sait aussi se montrer à fleur de peau, érigeant la tendresse et l’acceptation au pouvoir, sapant le mâle vénéneux, saluant la richesse de l’immigration et pleurant sur ses disparus (sa mère, d’abord, puis son premier enfant, mort-né). «La vulnérabilité est une armure» pourrait être l’étrange cri de guerre d’un groupe à la sensibilité piquante.

Attendu au tournant, et vieillissant comme tout le monde, il était juste de se demander si IDLES allait garder sa cadence et son insolence. Voire tomber dans la tentation d’un changement de cap musical. Il n’en est rien : Ultra Mono est à l’image de ses créateurs, doux exaspérés de Bristol : sincère et authentique. Une fois encore, ils ne baissent pas la garde et reviennent avec la subtilité d’un rouleau compresseur : ça joue fort, plus que jamais même, à travers douze titres remuants où tous les curseurs sont montés d’un cran. La mélodie s’immisce sans retenue, l’écriture est toujours plus mordante – notamment dans ses observations politiques et sociales, qui n’ont rien perdu de leur virulence –, sans oublier ce son puissant qui scotche au sol.

En défenseur des opprimés (n’en déplaise aux Fat White Family et Sleaford Mods), IDLES en remet une couche : la chanson Reigns déplore ainsi une «classe ouvrière réduite en poussière». War, quant à elle, est un brûlot anti-va-t-en-guerre tandis que Mr. Motivator veut, dans le texte, attraper «Trump par la chatte», référence à un enregistrement de 2005 où celui qui n’était pas encore président des États-Unis se vantait de pouvoir en faire autant avec les femmes en raison de sa notoriété… Saluons aussi l’orientation française, passion avouée pour l’Hexagone qui ne se limite pas à un live enregistré au Bataclan : d’abord avec Ne touche pas moi, titre clin d’œil à la langue de Molière sur lequel la musicienne-actrice et présentatrice (sur ARTE) Jehnny Beth laisse sortir sa rage.

Ensuite, avec le choix du studio d’enregistrement La Frette, situé en région parisienne. Ce dernier a d’ailleurs vu défiler un peu de monde : Warren Ellis (Nick Cave and the Bad Seeds) et David Yow (The Jesus Lizard), venus prêter main-forte au groupe, mais surtout trois coréalisateurs aux manettes : Adam Greenspan, Nick Launey et Kenny Beats, ce dernier apportant même au disque la puissance des rythmes hip-hop. Ensemble, ils canalisent la frénésie ambiante, rendant l’objet sans faille. Ultra Mono n’a, certes, pas de chanson «phare», mais évite aussi le coup de fringale. C’est vrai, il y a quand même ces notes de piano en ouverture de Kill Them with Kindness, vite surmontées par les aboiements de Joe Talbot, rappelant qu’IDLES sait surprendre dans une délicatesse tout à lui. Un peu comme prendre un gros ballon rose en pleine face.

Grégory Cimatti

IDLES, d’Ultra Mono.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.