Figure vénérable de la musique électronique allemande, Boys Noize, alias du producteur Alex Ridha, aurait pu devenir une sorte de monument vivant prêt à recevoir les honneurs et révérences de la toujours plus foisonnante scène berlinoise, à l’instar de Modeselektor ou des frères Kalkbrenner.
Mais le monde – pourtant vaste – de la musique de club est trop étriqué pour le musicien, même depuis qu’il a quitté sa ville natale de Hambourg pour la capitale allemande, il y a maintenant quelques décennies. Les chemins tout tracés et les étiquettes, très peu pour lui. Boys Noize met un point d’honneur à construire une forteresse musicale en forme d’autoportrait quasi dadaïste, en refusant soigneusement de produire deux fois la même chose.
Pour cette raison, le DJ et producteur a refusé, avant même la sortie de son premier album, d’appartenir à un label. La meilleure façon d’être dans le circuit, c’est de l’observer du dehors. Alors il a fondé, il y a seize ans, son propre label, Boysnoize Records, subtil mélange de savoir-faire professionnel et d’éthique DIY, sur lequel il s’en donne à cœur joie avec ses nombreux projets, en solo ou à plusieurs, et fait découvrir ses protégés, tout en séduisant quelques illustres amis qui apportent aussi leur pierre à l’édifice : Chilly Gonzales, Peaches ou Scissor Sisters ont tous fait une éphémère étape berlinoise. Et le label ne chôme pas : si +/- (prononcez «Polarity») est le cinquième album de Boys Noize, il est aussi sa 200e sortie!
Après Mayday (2016), Boys Noize semblait avoir mis au second plan ses explorations de la dance music purement electro, allant trouver son bonheur vers d’autres horizons. Il produit des morceaux pour Lady Gaga (Rain on Me, avec Ariana Grande, récompensé par un Grammy en mars dernier), Frank Ocean (DHL) ou encore A$AP Rocky (Babushka Boi), toujours en restant soigneusement hors du système. Des explorations entre la «club culture» et la pop ou le rap, de sa réticence au «mainstream» à son envie de rapprocher les genres, tout en lui témoigne de la polarité, des dualités qu’il explore dans ce nouveau disque.
L’extase d’un retour à la normale, à célébrer en grande pompe et sans règles
L’entrée en matière est pourtant fracassante : Close est taillé pour les boîtes, celles aux néons rouges qui s’allument quand la nuit et les «clubbers» sont déjà bien entamés. Une sorte de cri d’amour aux incontournables lieux de la vie nocturne berlinoise, qui n’ont commencé à rouvrir que très récemment, et auxquels le titre inaugural rend hommage à travers l’expression des basses sombres, violentes et chargées à bloc d’énergie sexuelle. Il faut noter que +/- a été complété et finalisé pendant le confinement et la fermeture des clubs à Berlin. Régulièrement, l’album transpire l’extase d’un retour à la normale, qu’il encourage à célébrer en grande pompe et sans règles, comme sur le syncopé XYXY, l’acide Xpress Yourself ou le grinçant Sperm, avant que le rappeur estonien Tommy Cash n’explicite le fond de sa pensée : «J’aimerais que nous soyons tous nus» (Nude).
Mais encore une fois, Boys Noize ne s’intéresse pas plus à l’appel de la piste de danse qu’il ne cherche à s’engouffrer dans les portes que son récent Grammy lui a ouvertes. Si le producteur invite Rico Nasty, l’une des rappeuses les plus en vogue, c’est pour déformer son phrasé particulier avec Girl Crush, tube techno qui se transforme, par un jeu de dissonances, en petite bombe drum’n’bass. À l’inverse, tout le talent de chanteuse d’Abra, sensation du R’nB venue d’Atlanta, magnifie Affection. Plus tard, il abandonne toute sonorité electro avec son vieux copain Chilly Gonzales et la chanteuse Kelsey Lu, pour un titre complètement aérien, Ride or Die. Dans le même ordre d’idées, Boys Noize rapproche la techno sombre du disco avec All I Want, chanté par Jake Shears, des Scissor Sisters. Question de polarité, toujours, avec une pile qui ne se décharge jamais.
Boys Noize +/-
Sorti le 24 septembre
Label Boysnoize Records
Genre electro
Valentin Maniglia