Cette semaine, on passe en revue l’album pop / electro Dawn FM, de The Weeknd, sorti le 7 janvier sur le Label XO / Republic.
Avec After Hours (2020), The Weeknd marquait une rupture dans la continuité de sa carrière et annonçait le début d’une nouvelle période, marquée par l’usage de synthétiseurs sombres et omniprésents, un style de composition qui doit autant à la pop qu’à la bande originale de film, sa rencontre providentielle avec le sorcier electro Daniel Lopatin, alias Oneohtrix Point Never, et l’envie de raconter des histoires, avec un début, un milieu et une fin. Et, comme après tout succès qui se respecte, une suite.
C’est vieilli, la peau tachée, la barbe cotonneuse et l’afro grisonnante qu’apparaît Abel Tesfaye sur la pochette de son cinquième album, Dawn FM; les stigmates qu’il porte sur son visage renvoient une fois de plus à la mort – on se souvient du visage amoché et des plaies ouvertes qu’il arborait tout sourire sur l’étrange pochette d’After Hours –, qu’il raconte ici avec une douce fatalité. Une décennie environ après ses débuts, le Canadien, qui est passé pendant cette période du statut de zonard intello du R’nB à superstar planétaire – son concert au Super Bowl, en février 2021, était une véritable démonstration de force, prouvant la richesse de son catalogue de tubes –, a pourtant sorti Dawn FM sans le tintamarre rituel. Même si le tout-internet avait les yeux rivés sur sa sortie, l’album, pour l’instant uniquement disponible sur les plateformes de streaming, avant une sortie physique prévue fin janvier, a été lâché presque en catimini. Inhabituelle technique de marketing ? Peut-être. Si c’est le cas, celle-ci suit néanmoins la logique du voyage dans lequel The Weeknd nous emmène, un voyage qu’il faudrait effectuer, de préférence, seul et tard dans la nuit, juste avant les premières lueurs du matin.
Car Dawn FM a beau être, de l’aveu de l’artiste lui-même, une suite directe d’After Hours, les deux se ressemblent finalement assez peu. Si l’album précédent tissait vaguement un fil rouge qui unissait le tout, il était plus pertinent de l’écouter comme une collection – largement perfectible – de titres qui témoignaient de son nouveau virage musical, avec un certain nombre de hits, bons et moins bons. Dawn FM existe d’abord par son concept : l’auditeur se branche sur une mystérieuse fréquence radio, au jingle désuet et dont l’animateur parle en vers. Ce dernier est en réalité un passeur vers l’au-delà; le voyage, un purgatoire.
Pour The Weeknd, personne anxieuse qui limite ses apparitions publiques et qui a longtemps été prisonnière des drogues dures, il s’agit d’expier ses propres péchés. Le thème n’est pas nouveau, mais l’artiste a un talent sans pareil pour insuffler dans ses paroles et, à plus forte raison, dans les compositions, le sentiment de terreur et les sinistres présages qui découlent de ses propres réflexions. La femme est un personnage omniprésent dans sa musique, et Dawn FM n’y fait pas exception : à travers elle, The Weeknd raconte son manque de confiance en soi (Less Than Zero), ses angoisses (Don’t Break My Heart), ses erreurs (Sacrifice) mais aussi ses espoirs (Take My Breath).
Avec un seul titre taillé pour être un tube (Take My Breath, ici dans une éclatante version de six minutes agrémentée d’une intro très «French Touch»), ce cinquième album ne suit pas exactement le chemin que The Weeknd avait annoncé avec After Hours, préférant emprunter des détours souterrains. L’esthétique «eighties» qui lui colle désormais à la peau est, elle aussi, détournée : c’est l’œuvre de l’association des producteurs Max Martin et Oneohtrix Point Never, qui produisent et supervisent l’ensemble de l’album. Le premier, producteur suédois renommé, amène ses sonorités scintillantes et bien lustrées; «OPN», lui, s’occupe des bizarreries et des expérimentations, pour un résultat curieux, à la fois léché et dissonant, et délicieusement rétro. L’idée de la radio, d’ailleurs, est empruntée à ce dernier, qui en avait fait le concept de son dernier album, Magic Oneohtrix Point Never. Quant au présentateur, The Weeknd s’est offert les services d’une idole, qui a grandi dans la même banlieue de Toronto : Jim Carrey. Une belle compagnie pour un voyage lugubre et magnétique.