Le public est de retour, les invités aussi, et le covid est derrière : le festival du Film italien de Villerupt met les bouchées doubles pour conjurer le sort de l’an passé, avec un premier week-end qui confirme les attentes.
« Le retour du monde au cinéma ! »Les premiers mots de cette 44e édition du festival du Film italien de Villerupt semblent s’échapper de la bouche d’Antoine Compagnone, son délégué général, sous le coup de la joie. Il est vrai qu’après la fin cataclysmique de la précédente édition, la surprise était de taille : le parterre de la salle de l’hôtel de ville remplie, sans distanciation sociale et, surtout, sans masque. Cela ne veut peut-être plus dire grand-chose, mais pour un festival qui a misé sur la fête et la comédie, c’est beaucoup : le rire deviendra de nouveau communicatif…
Ainsi a démarré, pour la 44e fois, le rendez-vous donné par le cinéma italien hors de ses frontières. Avec beaucoup de bonne humeur et la sensation d’une tradition retrouvée. Il était facile de constater la bonne fréquentation du public tout au long du week-end, mais Antoine Compagnone préfère ne pas parler – encore – de retour gagnant.
Ce lundi 1er novembre, il évoquait un «contexte de reprise compliqué», malgré le régime du pass sanitaire qui permet aux jauges d’être remplies à 100 %, et considérait qu’il était encore trop tôt pour parler de la fréquentation. Mais précise que la cérémonie d’ouverture a fait salle comble. Pour le reste, il suffisait d’observer que le public s’est volontiers pressé vers les premiers évènements et le retour tant attendu des invités. C’est Dominique Besnehard qui a ouvert le bal, samedi soir, pour accompagner sa coproduction Il materiale emotivo, de Sergio Castellitto, d’après un scénario jamais réalisé du grand Ettore Scola.
Si le producteur français était de retour dans la région quelques semaines après avoir parrainé le 32e festival du Film arabe de Fameck, un autre invité, le réalisateur Renzo Carbonera, venu présenter son nouveau long métrage, Takeaway, confiait lui ne pas avoir bougé d’Italie depuis les débuts de la pandémie, qui avait ravagé la botte, plus que tout autre pays européen, dans ses premiers mois. Un premier déplacement qui lui fait du bien, ainsi qu’au public, globalement enthousiaste.
Les grands noms sont tous là
Le président du pôle de l’image de Villerupt et délégué artistique du festival, Oreste Sacchelli, avait vu juste, vendredi soir : «Retrouver et garder le sourire», c’est ce qu’il souhaitait pour tous. «Nous avons voulu marquer le coup en montrant essentiellement des films drôles, souvent inédits, parfois sous-titrés par nos soins et avec notre, enfin votre, argent», plaisantait-il. «La programmation est riche, très riche. En fait, elle est doublement riche», a-t-il encore déclaré, en se référant à l’arrêt prématuré de l’édition précédente et le report, donc, des films qui n’ont pas pu être montrés à cette année. «Du deux en un», donc.
Sous l’égide d’un maître de la comédie à l’italienne, Dino Risi, qui fait l’objet cette année d’une rétrospective passionnante, les plus grands noms du cinéma italien actuel font leur retour sur les écrans de Villerupt.
Les successeurs de Risi dans le genre populaire par excellence, de Carlo Verdone (Si vive solo una volta) au champion du box-office Checco Zalone (Tolo tolo), en passant par Francesco Bruni (Cosa sarà) – autre invité prestigieux du week-end, qui a reçu, dimanche soir, l’Amilcar de la ville –, attireront les foules à coup sûr, mais le festival a tellement plus à offrir que de la comédie. Nanni Moretti (Tre piani), Marco Bellocchio (Marx può aspettare), Ferzan Ozpetek (La dea fortuna), Cristina Comencini (Tornare), Gianni Amelio (Hammamet) ou encore Pupi Avati (Lei mi parla ancora) ne sont que quelques-uns des noms les plus célèbres du cinéma italien, mais tous seront représentés dans le très beau programme préparé par les équipes du festival.
Esch et Villerupt, «un seul territoire»
Le message d’accueil qui flotte à l’entrée de la ville aux couleurs du drapeau italien impose Villerupt comme une zone où les frontières n’existent pas; le festival du Film italien, d’ailleurs, a deux salles officielles au Luxembourg, l’une à Esch-sur-Alzette (le Kinosch de la Kulturfabrik), l’autre à Dudelange (CNA Starlight). Une collaboration transfrontalière qui prendra une autre dimension l’année prochaine, quand Esch sera capitale européenne de la culture. Naturellement, son échevin à la culture, Pim Knaff, et la directrice générale d’Esch2022, Nancy Braun, étaient présents lors de l’ouverture du festival, vendredi soir. «Nous serons ensemble capitale européenne de la culture», a déclaré Pim Knaff, ajoutant qu’Esch et Villerupt «ne formeront plus qu’un seul territoire», finissant de sceller «un lien d’amitié et un respect mutuel qui nous lie depuis des années».
À l’image de ce qui est ressorti de la grande présentation d’Esch2022 jeudi dernier, le mystère reste entier quant à la manière dont la capitale européenne de la culture entend «remixer» le festival du Film italien; tout juste sait-on que l’Orchestre philharmonique de Luxembourg donnera un concert qui revisitera l’histoire du cinéma transalpin à travers ses musiques.
Alors que Nancy Braun succédait, sur scène, au cortège de politiques qui se sont passé le micro, elle a glissé que Villerupt accueillera «vingt-six projets» estampillés Esch2022 tout au long de l’année, dont un autre festival : les Estivales de l’Alzette, qui auront lieu du 7 au 10 juillet à l’Arche.
Le nouveau pôle culturel de la ville, qui ouvrira en janvier, fera souffler un vent d’air frais sur la prochaine édition du festival du Film italien, puisqu’il contiendra deux salles de cinéma. Reste à savoir si celles-ci remplaceront certains des sept lieux de projections ou si elles s’y ajouteront.
Qu’importe, les informations arriveront en temps voulu. Avant de guetter les détails de la 45e édition, profitons de la copieuse 44e, qui vient à peine de commencer. C’est ici, maintenant, et pendant une douzaine de jours encore.
Une compétition
qui démarre fort
Quinze longs métrages et autant d’idées de ce qu’est le cinéma italien : ce premier week-end rallongé aura vu, déjà, la projection de tous les films en compétition. On aura pu y découvrir des regards fascinants, partageant l’idée générale qu’un film est avant tout un voyage introspectif, dans le temps, dans l’espace, dans une réalité déformée ou (malheureusement) fidèle à la réalité.
Quelques noms, quelques films se détachent. Michelangelo Frammartino, réalisateur du chef-d’œuvre contemplatif et muet Le quattro volte (2010), revient ainsi en compétition avec Il buco, somptueux docufiction qui analyse les hauts et les bas géographiques d’Italie, poursuivant l’œuvre chamanique du cinéaste. Re granchio, quant à lui, est une véritable révélation : une fable amoureuse qui se transforme, à mi-chemin, en un western «au ralenti» dans les décors époustouflants de la Terre de Feu. Alessio Rigo De Righi et Matteo Zoppis, les réalisateurs, sont, de loin, la plus grande révélation de cette 44e édition, et des noms qu’il faudra guetter à l’avenir.
Dans un autre registre, les biopics Miss Marx, de Susanna Nicchiarelli, et Il cattivo poeta, de Gianluca Jodice, ont tout pour plaire au public : du vrai et beau cinéma populaire, simple et montrant tout le talent de ses acteurs principaux, Romola Garai pour le premier, dans le rôle de la fille de Karl Marx, Eleanor, activiste politique, et Sergio Castellitto pour le second, qui fait un parfait Gabriele D’Annunzio, le poète et «prophète» qui a vécu en ermite dans sa demeure luxueuse du lac de Garde dès les balbutiements du fascisme.
Parmi les films qui peuvent créer la surprise, misons sur Californie, d’Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman, très joli récit du quotidien difficile d’une jeune fille d’origine marocaine dans une banlieue de Naples, de ses 9 à ses 14 ans, et porté par l’interprétation formidable de la jeune Khadija Jaafari. Ou encore Il legionario, de Hleb Papou, dure histoire de violence et de racisme dans laquelle un CRS d’origine africaine forcé d’évacuer l’immeuble dans lequel vit illégalement sa famille. Du côté du public, qui décerne aussi un prix, c’est un autre titre que l’on entend souvent revenir : Takeaway, de Renzo Carbonera, a été beaucoup apprécié et a beaucoup ému, en partie grâce la dernière interprétation de l’acteur Libero De Rienzo, décédé prématurément en juillet dernier. Les jurys, eux, ne trancheront que la semaine prochaine, et le public peut encore tout faire basculer…
Valentin Maniglia