C’est au complet que la petite famille du cinéma grand-ducal a pu se retrouver jeudi, au festival de Cannes, pour la traditionnelle journée luxembourgeoise : l’occasion de faire un point après la pandémie, et se projeter dans l’avenir.
C’est, pendant une dizaine de jours, le coin le plus ensoleillé du Luxembourg. Derrière le Palais des festivals de Cannes, imposant bunker où l’on vit au rythme du cinéma (à l’avant, on les regarde ; au sous-sol et à l’arrière, on les vend et achète), le pavillon luxembourgeois a retrouvé ses habitudes.
Jeudi, il a aussi retrouvé ses habitués : rendez-vous était donné à tout le petit monde du cinéma du Grand-Duché pour la traditionnelle journée luxembourgeoise. Producteurs, jeunes auteur(e)s et cinéastes confirmés, acteurs et actrices et autres représentants du 7e art au Luxembourg ont investi le lieu au bord de la plage, sous la houlette du Film Fund et de son directeur, Guy Daleiden.
Il faut dire que c’est une année un peu particulière pour le cinéma luxembourgeois à Cannes : six coproductions sélectionnées dans les différents segments du 75e festival international du Film – trois à Un certain regard, deux en sélection officielle hors compétition, un à la Quinzaine des réalisateurs –, c’est une première. «Et ça n’arrivera certainement plus jamais», plaisante Guy Daleiden. On peine à le croire, tant la vitrine est belle. Tellement, d’ailleurs, qu’il n’y a pas de raison de ne pas remettre le couvert l’année prochaine.
Un sauvetage chiffré en milliards
En préambule, il était important pour le Premier ministre et ministre des Communications et des Médias de rappeler le soutien de l’État au secteur cinématographique, pilier et première vitrine à l’international du monde culturel luxembourgeois.
Absent de la journée luxembourgeoise d’un festival de Cannes 2021 qui s’est tenu exceptionnellement en juillet, car hospitalisé à la suite des complications liées au covid-19, Xavier Bettel a ainsi pu faire le point sur deux ans et demi de pandémie qui ont compliqué le bon fonctionnement de l’industrie audiovisuelle au Luxembourg.
Le sauvetage du secteur a été économique, avec une enveloppe chiffrée en milliards : la relation entre le ministre en charge du Film Fund et l’industrie n’a pas toujours été au beau fixe, mais il est évident, désormais, que l’État soutient une terre de cinéma, de grandes coproductions et, donc, d’ouverture sur l’étranger.
Et ce, même si les budgets resteront les mêmes l’année prochaine, précise Xavier Bettel, conséquence des dépenses imprévues liées au covid et à la guerre en Ukraine.
Quoi qu’il en soit, il semble que le Film Fund n’ait jamais envisagé de freiner sa course. En mars, Guy Daleiden inaugurait le pavillon VR du LuxFilmFest en annonçant que des ponts toujours plus solides se construisaient entre le Luxembourg et le Québec, un partenaire précieux dans le domaine de la VR en particulier, information confirmée jeudi, alors que le pavillon québécois à Cannes est voisin de celui du Luxembourg.
Pour le directeur du Film Fund, il est temps que le Grand-Duché dépasse son statut de précurseur en matière de réalités virtuelle et augmentée en élargissant la fenêtre de tir de cette façon nouvelle de voir des films; l’immense succès tout récent de l’expérience VR signée Blanca Li, Le Bal de Paris, soutenue par le Film Fund, reste en tête.
«Soyez attentifs à la nouvelle garde !»
Puis Guy Daleiden énumère les récents projets qui lui sont chers, mis en place pour perdurer dans le temps et pour continuer de tisser et renforcer des liens avec des pays étrangers : le programme de codéveloppement et de coproduction Luxembourg-Canada, donc, mais aussi le fonds de codéveloppement de projets audiovisuels Luxembourg-Portugal et le fonds de codéveloppement Luxembourg-Irlande destiné aux femmes cinéastes.
À ceux-ci s’est récemment ajoutée une collaboration entre le Film Fund et RTL, qui ont lancé un triple appel à projets pour concepts et formats de télévision. Fin avril, ce sont cinq projets qui ont été retenus (deux séries de fiction, deux séries policières et une série pour enfants) et qui bénéficieront de 40 000 euros chacun.
La liesse générale et le plaisir de retrouver les cinéastes d’aujourd’hui et de demain («Soyez attentifs à la nouvelle garde!», prévient Guy Daleiden) s’est terminée, comme le veut la tradition, par une tête piquée dans l’eau et une «photo de famille».
Mais la fête, comme tout à Cannes, est éphémère : le festival, «c’est aussi un marché», a souligné Xavier Bettel, sous-entendant que certaines décisions importantes concernant l’avenir de la production et de l’industrie cinématographiques du Luxembourg se font sur la Croisette.
Et chacun retourne doucement à ses activités : le producteur Donato Rotunno (Tarantula) prend la direction de la salle Debussy, où a lieu la première de Harka, de Lotfy Nathan, qu’il a coproduit; le directeur artistique du LuxFilmFest, Alexis Juncosa, jongle avec ses «60 rendez-vous» qui donnent un rythme frénétique à son séjour cannois.
D’autres retournent à leur stand au Marché du film… Ensemble, les professionnels prouvent une chose : le cinéma européen d’aujourd’hui et de demain ne pourra se faire sans le Luxembourg.
Ensemble, les professionnels prouvent une chose : le cinéma européen d’aujourd’hui et de demain ne pourra se faire sans le Luxembourg
2023 : grosses attentes sur grand écran
Six films dans les différentes sélections du festival de Cannes, c’est le chiffre à battre pour la 76e édition qui aura lieu en 2023. Il faudra être patient avant de connaître les films qui y représenteront le Luxembourg, mais puisqu’il n’y a pas que Cannes dans la vie, la journée luxembourgeoise a été aussi l’occasion d’en apprendre plus sur les films «made in / with Luxembourg» qui arriveront dans nos salles obscures l’année prochaine.
Il y a, en 2022, 62 projets audiovisuels soutenus par le Film Fund Luxembourg; les six représentants cannois en font partie. Parmi ce que l’on peut attendre dès le second semestre de cette année, le Luxembourg a attiré quelques gros poissons dans ses filets.
C’est le cas, par exemple, du premier long métrage de l’écrivain Gilles Legardinier, l’un des plus gros vendeurs de livres de France, qui adapte à l’écran son propre roman Complètement cramé! avec, dans le rôle principal, John Malkovich, entouré de Fanny Ardant et Émilie Dequenne : l’histoire d’un homme veuf qui se fait embaucher comme majordome dans un château en France, où il est entouré des souvenirs de sa femme, et qui rencontrera une galerie de gens aussi perdus que lui. Le film est coproduit au Luxembourg par Christel Henon (également coscénariste) et Lilian Heche pour Bidibul.
Chez Tarantula, on reste fidèle à ses jeunes auteurs : après le foudroyant Streams (2020), le Tunisien Mehdi Hmili fera son retour avec une nouvelle coproduction luxembourgeoise, le documentaire Fouledh, qui suit quatre ouvriers d’une aciérie tunisienne souffrant de désordres psychologiques après la mort d’un de leurs collègues.
Gilles Chanial et Les Films Fauves, pour leur part, s’apprêtent à faire le grand écart entre le drame horrifique tourné en luxembourgeois Kommunioun, signé Jacques Molitor, et le nouveau drame anthropologique fleuve de Wang Bing, Shanghai Youth, en passant par le prochain trip hallucinatoire de Bertrand Mandico, La Barbare.
Vicky Krieps sera forcément de la partie avec The Wall, du Belge Philippe Van Leeuw, dans lequel elle campe une agente de la «Border Patrol» américaine sous pression et commettant une bavure, puis chez Margarethe von Trotta avec Bachmann & Frisch, actuellement en tournage.
De même que le Belge Joachim Lafosse, qui a trouvé chez Samsa un partenaire précieux et qui rempile pour Un silence, drame porté par Benoît Poelvoorde et Emmanuelle Devos. Le rare Jaco Van Dormael promet son Dogboy pour bientôt, et le Mauritanien Abderrahmane Sissako aura une double actualité avec Red Lion, la société fondée par Pol Cruchten : un nouveau film, La Colline parfumée, et L’Invitation, d’après un projet qu’il avait initié avec Pol Cruchten, repris par Fabrizio Maltese. Si avec tout cela, le Luxembourg ne fait pas mieux à Cannes 2023…