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Un an après Charlie, la lutte antiraciste reste un terrain sensible


Marche républicaine le 11 janvier 2015 à Paris après les attentats. (Photo : AFP)

Un an après Charlie, la lutte antiraciste demeure un terrain hautement sensible, nourri de craintes de stigmatisation que l’actuel débat sur la déchéance de la nationalité a encore attisées.

Dans le sillage des attentats du début 2015, Manuel Valls l’avait martelé en avril: les Français juifs «ne devaient plus avoir peur d’être juifs» et «les Français musulmans ne devaient plus avoir honte d’être musulmans».

La France, déjà effarée par l’attaque antisémite de l’Hyper Cacher, venait de connaître trois mois marqués par une forte hausse des actes antimusulmans. L’action passait alors, au nom du «vivre-ensemble», par un «plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme» doté de 100 millions d’euros pendant trois ans.

Soutien aux associations, mesures concernant la justice, l’école et internet… Jusqu’au lancement, en novembre dernier, d’une campagne média par les associations qui ont reçu le label «grande cause nationale»: sur le papier, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme progresse.

Mais l’année écoulée a aussi été marquée par une série de polémiques révélatrice de tensions entre deux conceptions très différentes de la lutte antiraciste, au risque d’en brouiller le message.

Le discours universaliste des associations historiques (Licra, Mrap, Ligue des droits de l’homme et SOS racisme) est en effet chahuté par des organisations plus activistes, souvent plus présentes sur les réseaux sociaux, dont certaines n’hésitent pas à faire référence à l’héritage colonial, à dénoncer une islamophobie latente ou à communautariser la question.

Le débat n’est pas nouveau: l’affaire «Exhibit B», exposition dénoncée comme une succession de clichés antinoirs en 2014, l’avait rappelé. Mais il s’est focalisé récemment autour de la personnalité du nouveau Délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra) Gilles Clavreul, nommé fin 2014.

Habitué des interventions tranchées sur les réseaux sociaux, celui-ci a été à plusieurs reprises accusé d’un «deux poids, deux mesures» au détriment des musulmans, notamment en décembre après un meeting tenu par des collectifs antiracistes proches de l’islamologue controversé Tariq Ramadan, que M. Clavreul avait dénoncé comme une «offensive antirépublicaine» ou un «antiracisme perverti».

Une partie de la communauté musulmane en ligne n’a pas caché son amertume: «La Dilcra, c’est le truc mis en place par Valls pour nier l’islamophobie et mettre en concurrence l’antisémitisme», estimait le blogueur musulman orthodoxe Al Kanz sur Twitter.

«Lecture racialisée»

Des accusations que Gilles Clavreul rejette avec véhémence: «On protège tout autant les juifs que les musulmans, tous les citoyens sont égaux, c’est ça le principe républicain». S’il assure à l’AFP ne pas reculer devant l’emploi du mot «islamophobie», comme certains le lui reprochent, il ajoute que «la libre critique de la religion fait partie de l’espace ouvert à la liberté d’expression, et qui doit être accepté».

«On ne peut pas être antiraciste en adoptant une lecture totalement racialisée des rapports entre êtres humains», lance-t-il. La nouveauté – et la difficulté – est qu’en s’en étant pris, à l’occasion du meeting litigieux, à «certaines organisations d’extrême gauche», M. Clavreul s’est aussi attiré les foudres d’une partie de ses alliés traditionnels.

«Combattre (les) dérives, ce n’est pas lancer des anathèmes et adopter un langage d’exclusion», a répliqué Françoise Dumont, la présidente de la LDH. «Nous sommes en total désaccord sur la hiérarchisation des racismes», lance Augustin Grosdoy, coprésident du Mrap.

Et le débat sur la déchéance de la nationalité pour les terroristes, lancé après les attentats de novembre, a encore avivé ces frictions entre autorités et associations. La LDH est en pointe dans la mobilisation contre cette mesure. Lundi soir, SOS Racisme a manifesté à proximité du siège du PS – le parti qui, pourtant, avait porté sa propre création dans les années 1980.

De son côté, le Mrap a averti que cette idée «ouvre grande la porte aux discriminations racistes» en invitant à «désigner des boucs émissaires».

Le saccage d’une salle de prière musulmane à Ajaccio, fin décembre, rappelle en tout cas que la vigilance est toujours nécessaire: pour le Mrap, «en ce moment de grande tension, nos concitoyens musulmans ou supposés tels sont les premières victimes du racisme».

AFP/M.R.

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