Le procès de l’affaire de l’autoroute dont l’Algéro-Luxembourgeois Med Chani est l’un des accusés principaux, a été reporté. Sa femme dénonce une parodie de justice et ses avocats ont choisi de défier le tribunal criminel d’Alger.
« La manière dont cela s’est passé dimanche montre une volonté de condamner d’avance mon mari, sans aucune preuve, pour laisser courir les vrais coupables. Donc [dimanche], j’étais très inquiète, angoissée, par ce qui se passe », témoignait ce lundi Margy Chani-Pesch, la femme de Med Chani.
Rappel des faits : Medjdoub («Med») Chani est en prison en Algérie depuis maintenant cinq ans. Titulaire de la double nationalité algérienne et luxembourgeoise, il est détenu depuis plus de cinq ans après avoir été arrêté à Alger par les services secrets algériens. Ses proches dénoncent une «arrestation illégale» qui a conduit à des aveux arrachés sous la torture.
En effet, Med Chani est accusé de trafic d’influence, de corruption, de blanchiment et d’association de malfaiteur. En 2006, il a été engagé comme consultant juridique et financier du consortium chinois Citic CRCC pour la construction de l’autoroute Est-Ouest qui traverse l’Algérie. Il est désormais l’un des principaux accusés dans le procès de ce projet de plus de 11 milliards de dollars, entaché de soupçons de corruption.
Or, ce procès, qui s’est ouvert dimanche, commence mal, explique Margy Chani-Pesch : «D’abord, je n’ai toujours pas la possibilité de téléphoner à mon mari, que je n’ai pas vu depuis cinq ans. Nos seuls échanges se font par lettres, filtrées en plus», déplore-t-elle, précisant qu’elle suit le procès grâce à la presse et à ses contacts avec les avocats.
Ses avocats arrivent en retard au procès
Second hic : les rapports avec la justice algérienne. Le fait que Med Chani soit défendu non seulement par des avocats algériens, mais aussi par William Bourdon, avocat du Barreau de Paris et Philippe Penning, du Barreau de Luxembourg, semble déplaire à la justice algérienne, qui leur mettrait «des bâtons dans les roues», estime-t-elle. «Les avocats Bourdon et Penning sont arrivés en retard au procès dimanche ! Pourtant, ce n’est pas de leur faute, ils s’étaient présentés à l’heure, mais le bâtonnier d’Alger n’a pas voulu les laisser plaider car ils n’avaient pas fait de visite de courtoisie préliminaire. On croit rêver», s’offusque-t-elle.
Et cela, «c’est le moins grave», assure-t-elle. Car ensuite, lorsqu’ils sont finalement arrivés au procès, «les avocats de mon mari ont demandé, au nom du respect des principes d’un procès équitable, l’annulation de toute la procédure, étant donnée qu’elle repose sur des aveux qui ont été extorqués sous la torture».
Or «le tribunal n’a même pas voulu examiner les pièces qu’ont déposées nos avocats, et qui prouvent que mon mari a disparu pendant 20 jours lors de son arrestation, alors qu’on le cherchait désespérément.»
Med Chani «ne veut pas bloquer le procès»
«Le tribunal a donc décidé que les aveux que mon mari a dû signer, et qui ont été extorqués sous la torture, seront intégrés au dossier et qu’il sera condamné sur base de ces aveux. Cela veut dire qu’ils veulent un coupable, et condamner mon mari à une peine très lourde», résume-t-elle, précisant que Med Chani encourt entre 10 et 20 ans de prison. Ce qui, vu son âge, 63 ans, «revient pratiquement à une condamnation à mort».
Les avocats de Med Chani ont donc décidé de se retirer, bloquant la tenue du procès : «La décision du tribunal d’écarter en quelques secondes la preuve qui établissait l’existence de mauvais traitements rendait inexorable notre retrait, décidé en parfaite concertation avec Chani Medjdoub, qui a décidé de se défendre tout seul», expliquait dimanche Me Bourdon.
Après le refus de l’accusé d’accepter un avocat commis d’office, le président du tribunal a renvoyé le procès au 26 avril. La question qui se pose désormais est celle de la défense de Med Chani à cette date : sera-t-il seul ou épaulé par ses avocats?
«Med Chani ne veut pas bloquer ce procès : il veut être jugé. Mais tout le monde a droit à un procès équitable», réagissait hier soir Me Amélie Lefebvre, du cabinet de M e Bourdon, alors qu’elle s’apprêtait à quitter l’Algérie. Et d’ajouter : «La question de sa défense dimanche est une question stratégique, nous ne pouvons pas encore faire de déclaration sur ce sujet.» À suivre donc.
Romain Van Dyck