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Pour Hubert Védrine aussi, les Africaines font trop d’enfants


Hubert Védrine, jeudi dernier, lors de la réception de nouvel an de la Fedil. L'ancien ministre de Lionel Jospin avait déclaré en 2013 qu'il facturait ses interventions à hauteur de 15 000 euros. (Photo: Alain Rischard)

Comme Emmanuel Macron,  Hubert Védrine attribue les difficultés de l’Afrique à son fort taux de natalité. Il l’a affirmé jeudi dernier à Luxembourg lors de la réception de nouvel an de la Fédération des industriels luxembourgeois, dont il était l’un des orateurs. Le problème « ne sera traité que par l’éducation des filles qui finiront par résister à des décisions qui ne sont pas les leurs », a déclaré l’ancien ministre français des Affaires étrangères.

 

« La persistance des conflits», «le fléau du terrorisme», les migrations massives et les faiblesses économiques qui laissent «pour compte des millions d’Africains, sans éducation, sans travail et sans protection sociale» : Moussa Faki, président de la Commission de l’Union africaine, a égrené dimanche les maux qui minent l’Afrique lors de l’ouverture du 30e sommet des chefs d’État de l’organisation panafricaine à Addis-Abeba.
L’ancien Premier ministre tchadien n’a pas cité la natalité élevée du continent, au contraire du président français qui estimait le 8 juillet dernier qu’il s’agit du fardeau le plus lourd de l’Afrique. «Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien», avait dit Emmanuel Macron. Le propos avait déclenché une vive polémique en Afrique, lui valant d’être qualifié de «raciste» pour cette analyse nimbée de relents coloniaux.

Conférences à 15 000 euros

En novembre, à Ougadougou, il avait récidivé, évoquant cette fois la natalité africaine en termes de «défi civilisationnel». Dans la capitale du Burkina Faso, Emmanuel Macron avait enrobé son discours d’une rhétorique féministe, attribuant l’important taux de fécondité des Africaines à leur manque d’éducation et à des choix qui leur sont imposés par les hommes.

Ce propos a été repris presque tel quel jeudi 25 janvier à Luxembourg par l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, aujourd’hui reconverti dans le «conseil pour les affaires» et les conférences qu’il facture 15 000 euros, selon son propre aveu. Le diplomate, qui fut aussi l’un des plus proches collaborateurs de François Mitterrand à l’Élysée, était invité à exposer les grands défis géopolitiques du moment lors de la traditionnelle réception de nouvel an de la Fédération des industriels luxembourgeois (Fedil) réunissant quelque 1 000 chefs d’entreprise et responsables politiques.

«Un des processus les plus graves et auquel on ne peut pas grand-chose, c’est le processus démographique», a dit Hubert Védrine en parlant des multiples crises qui secouent le monde. «Le développement le plus fort étant l’Afrique, ce qui ne sera traité que par l’éducation des filles qui finiront par résister à des décisions qui ne sont pas les leurs», a-t-il poursuivi avant d’ajouter : «C’est la seule façon de passer de sept enfants par femme au Niger à deux.»

Lecture trompeuse

Du Macron dans le texte, jusqu’au chiffre de «sept enfants» par femme». Au contraire du président français, Hubert Védrine a néanmoins précisé qu’il parlait du Niger. Ce pays sahélien détient le record du monde du taux de fécondité avec 7,6 enfants par femme. Ce chiffre ne résume cependant pas la situation démographique de l’Afrique. La réalité est autre et diffère grandement d’un pays à l’autre. En moyenne, les femmes africaines ont 4,7 enfants, ce qui en fait le continent à la natalité la plus élevée au monde, loin devant l’Europe (1,7). Selon les démographes, l’Afrique sera en 2050 le continent le plus peuplé de la planète dont il devrait représenter 40 % de la population.

Si la fécondité est très élevée au Niger, les pays du Maghreb affichent des taux sensiblement équivalents à ceux de l’Europe. À Maurice, il est de 1,4 enfant par femme, le moins élevé du continent.
Il est donc trompeur d’affirmer que les Africaines dans leur ensemble font trop d’enfants en citant le seul Niger. Cela équivaudrait à dire que le chômage en Europe est d’un niveau catastrophique en se référant au seul taux de 20,7 % de la Grèce alors que la moyenne de l’UE est de 7,6 %. C’est aussi inexact qu’intellectuellement malhonnête.

Intellectuellement malhonnête

Sur le fond, la polémique suscitée par Emmanuel Macron a néanmoins été instructive. Les critiques ont fait remarquer que les anciennes colonies françaises affichent le taux de fécondité le plus élevé en Afrique. Les pays anglophones d’Afrique avait pour certains pris le problème à bras le corps dès les années 60, tandis que la France persistait à maintenir une étroite relation de domination sur ses anciennes colonies.
Dans le discours pronataliste français du XIXe siècle et dans son expansion impérialiste, Paris considérait les colonies comme autant de pourvoyeuses de «ressources inépuisables» de populations à la disposition de la métropole, comme main- d’œuvre ou comme chair à canon lors de la Première Guerre mondiale.

Cette vision s’était traduite dans l’arsenal législatif colonial en 1920 quand Paris a «interdit toute forme de contraception» dans ses colonies, rappelait en juillet le démographe burkinabé Jean-François Kobiané, précisant que ces lois ont perduré jusque dans les années 80 dans l’ancien Empire français en Afrique (entretien du 14 juillet 2014 à l’hebdomadaire Jeune Afrique).

«Sélection sexuelle et triage colonial»

Contrairement à ce que laissent entendre Emmanuel Macron et Hubert Védrine, des économistes rejettent aussi l’idée d’une baisse de la natalité comme condition du développement économique et social. Ils se réfèrent pour cela aux résultats contradictoires observés entre l’Asie du Sud-Est, où la baisse du taux de natalité s’est accompagnée du développement, et l’Amérique latine où cette corrélation ne s’est pas vérifiée.

Quant au propos en apparence féministe d’Emmanuel Macron – et Védrine –, la philosophe française Elsa Dorlin le qualifie de «fémocolonialiste». Dans une tribune publiée par Le Monde le 11 novembre dernier, l’universitaire y voyait «un discours de sélection sexuelle et de triage colonial».

Lorsqu’il s’est adressé jeudi aux industriels luxembourgeois, Hubert Védrine a longuement insisté sur la perte d’influence de l’Occident. «Dans le reste du monde, il y a des pays qui disent : « Il y a des règles que vous avez fixées, qui nous vont et d’autres qui ne nous vont pas. Il y a des valeurs occidentales qui sont vraiment universelles, mais pas toutes »», a-t-il dit. À l’égard de l’Afrique, le paternalisme reste manifestement une valeur intangible aux yeux de l’ancien ministre.

Fabien Grasser

 

Védrine et le génocide rwandais

Dans la foulée des graves soupçons qui pèsent sur la France pour son implication dans le génocide rwandais en 1994, Hubert Védrine a été mis en cause à deux reprises. La première concerne une annotation qu’il avait apposée en marge d’une dépêche Reuters du 15 juillet 1994. Il y rappelait que l’arrestation par Paris des responsables rwandais du génocide n’allait pas dans le sens voulu par le président Mitterrand. En juillet dernier, la revue XXI accusait l’ancien secrétaire général de l’Élysée d’être intervenu, toujours dans une note manuscrite, en faveur du réarmement par la France des auteurs des massacres. Hubert Védrine nie ces accusations tout en s’opposant à l’ouverture des archives contenant les documents incriminés.

 

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