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LuxLeaks : la faute à personne ?


Jean-Claude Juncker (au centre) était aux côtés du du Grand-Duc héritier Guillaume (à g.) lors de la prestation de serment de la Commission européenne, hier, devant la Cour de Justice de l'UE à Luxembourg. (photo : AFP)

Après une seconde série de révélations, hier, sur le système massif d’optimisation fiscale au Luxembourg, son illégitimité est reconnue par tous. Mais la responsabilité politique peine à trouver preneur.

 

LuxLeaks, acte 2. La nouvelle salve de révélations sur les rulings très avantageux accordés à des multinationales par l’administration fiscale du Grand-Duché fragilise encore plus l’ex-Premier ministre Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. Alors qu’il répète que la lutte contre l’évasion fiscale est « une nécessité absolue », il rejette toute responsabilité directe dans les pratiques incriminées.

Sur le volet de l’éthique, tout le monde semble enfin d’accord. Dans un communiqué publié hier après les révélations de LuxLeaks2, le ministère des Finances « convient » – à défaut de le reconnaître clairement – que « la légitimité de certains mécanismes » (NDLR : d’optimisation fiscale), certes « conformes au droit », « peut être remise en question ». Loin des rulings qualifiés encore il y a un mois de « patrimoine » du Luxembourg par le ministre Pierre Gramegna, cette condamnation qui ne dit pas son nom semble cette fois s’être fait une vraie place à côté de l’argument-bouclier de la légalité des rulings, invoqué au lendemain des premières révélations.

Une illégitimité qu’avait pour sa part aussitôt reconnue Jean-Claude Juncker, avouant que la « faible » taxation des entreprises ne « correspond pas » au « concept de justice fiscale » ni « aux normes éthiques et morales généralement admises ». La lutte contre l’évasion fiscale est « une nécessité absolue », a-t-il réaffirmé hier après-midi, à l’heure de la prestation de serment solennelle de sa Commission à la Cour de justice de l’Union européenne, à Luxembourg.

Ainsi, l’échange automatique d’informations sur les rulings et l’harmonisation fiscale européenne figurent en tête des dossiers du commissaire chargé de la fiscalité, Pierre Moscovici, qui proposera de nouvelles directives ces prochaines semaines.

> Des décisions « unilatérales »

Fidèle à son credo du « tout le monde bouge ou bien personne », le Luxembourg affirme contribuer « activement » à ces discussions : « La communauté internationale dans son ensemble est mise devant ses responsabilités », écrit le ministère des Finances. Il reste à savoir jusqu’à quel point le gouvernement luxembourgeois est prêt à lâcher du terrain sur l’harmonisation, le Premier ministre ayant déjà mis des bémols sur le sujet.

Bref, tout le monde condamne le système aujourd’hui. « Il n’est pas acceptable qu’une entreprise puisse se prévaloir des règles internationales pour échapper à toute imposition », acquiesce le ministère des Finances… sans toutefois préciser si son administration valide toujours aujourd’hui de telles ristournes aux multinationales. Les réponses du gouvernement aux 36 questions parlementaires du député Justin Turpel (déi Lénk), attendues en début d’année prochaine, le diront peut-être. Tout comme elles établiront peut-être la chaîne de responsabilités dans les pratiques passées, aujourd’hui condamnées. À qui la faute ? Aux seules défaillances du droit fiscal international et à la ruse des multinationales aidées par les cabinets d’audit ? Cela semble un peu maigre.

Comme le rappelait hier le ministère des Finances, les rulings sont des « décisions unilatérales » de l’administration fiscale. Des validations d’évasion fiscale à grande échelle, certes légale. Qui les a autorisées au Luxembourg, en s’asseyant donc sur l’éthique ?

Celui qui fut Premier ministre du Luxembourg à l’époque des rulings en question (2002 à 2011) a affirmé hier qu’il ne se sentait pas visé par les révélations de LuxLeaks : « Si j’avais été ministre de l’Économie, je me sentirais personnellement visé ». Doit-on comprendre que la faute revient aux anciens ministres de l’Économie et des Finances ? Dans une récente interview au quotidien français Le Monde, Jean-Claude Juncker assurait qu’il « referait la même chose » s’il pouvait revenir en arrière, « mais j’aurais examiné avec plus d’attention ces tax rulings, j’aurais changé la loi pour que le ministre des Finances puisse en être informé. Ce que la loi luxembourgeoise ne permet pas ».

> « Affaibli » mais toujours combatif

Serait-ce donc la faute de la loi ou des politiques qui ne l’ont pas votée ? Ou bien la faute des seuls fonctionnaires de l’administration fiscale ? Voire celle du seul préposé à l’administration des Contributions directes, le fameux Marius Kohl dit « M. Ruling » et retraité depuis l’an passé après vingt ans de bons et loyaux services ? Un Marius Kohl réputé « très compréhensif » avec les cabinets d’audit, qui a sa propre page Wikipedia et qui a affirmé dans une interview au Wall Street Journal que Juncker ne s’était jamais plaint de son travail.

Difficile de croire que la politique de tampons accordés aux multinationales, avec des milliards d’évasion fiscale en jeu, n’a pas été validée en haut lieu. « Je suis politiquement responsable », mais « je ne suis pas l’architecte du système », avait déclaré Jean-Claude Juncker au lendemain de LuxLeaks1.

Hier, à la Cour de justice, entre deux coupes de champagne, il l’a redit : « Je suis politiquement responsable de tout ce qui s’est fait au Luxembourg, mais je n’ai jamais pris d’influence concrète sur des dossiers fiscaux, puisque la loi me l’interdit ». Et d’évacuer le rôle des préposés de l’administration : « Je ne vais pas charger de responsabilité les fonctionnaires ».

Dans une interview publiée hier dans le quotidien français Libération, Jean-Claude Juncker avoue être « affaibli », car l’affaire LuxLeaks « laisse croire que j’aurais participé à des manœuvres ne répondant pas aux règles élémentaires de l’éthique et de la morale ». Il rappelle encore, à l’instar du ministère des Finances, que 22 des 28 pays de l’Union pratiquent le tax ruling, qui permet à une entreprise multinationale de demander à l’avance à un pays comment sa situation fiscale sera traitée, dans un but d’optimisation fiscale.

« Je veux croire que ma crédibilité n’est pas entamée », a dit Jean-Claude Juncker dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. C’est bien là l’enjeu pour le nouveau président de la Commission européenne : rester crédible dans son nouveau rôle de chantre d’une fiscalité plus juste, quitte à jouer d’arguments équilibristes pour justifier le passé.

« Depuis la crise, le regard que portent les États et les citoyens sur ces mécanismes internationaux (NDLR : les rulings) a changé », écrit le ministère des Finances. Voilà peut-être la seule explication qui vaille : aux yeux de l’opinion internationale, et davantage depuis les révélations de LuxLeaks, le Luxembourg, comme d’autres, ne peut plus justifier un système sur lequel il fermait les yeux auparavant. Mais ça, ça ne se dit pas. En tout cas pas aussi clairement. D’où un certain malaise dans la communication.

De notre journaliste Sylvain Amiotte

 

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