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François Bausch n’a pas « peur d’un Luxembourg à 700 000 habitants »


François Bausch (déi gréng), ministre du Développement durable et des Infrastructures, prépare un texte-cadre pour les députés qui débattront de la qualité de vie au printemps prochain.

Le ministre juge très important d’avoir un débat public sur ce sujet et tous les partis devront se positionner. Autres sujets capitaux à ses yeux : l’équité fiscale et la redistribution des richesses.

Le gouvernement projette une vaste réforme fiscale alors que les syndicats dénoncent une pression trop forte sur les ménages et regrettent que les entreprises ne répondent pas à leur responsabilité sociale. Dans quel état se trouve notre système fiscal ?

François Bausch : Ce qui manque cruellement au Luxembourg, c’est précisément une analyse fine de notre système fiscal. Elle fait malheureusement toujours défaut. Nous avons des recettes fiscales brutes que l’on nous pose sur la table, mais on ne connaît pas les détails ni les conséquences de ces recettes pour les contribuables. À deux reprises, nous avons adopté une motion à la Chambre des députés, sous Luc Frieden, dans laquelle nous exigions une analyse en détail de notre système fiscal. Pour faire une bonne réforme fiscale, nous avons besoin d’au moins un an et demi pour bien analyser la situation et faire des propositions avec les partenaires sociaux, sinon nous allons échouer, car le risque est trop grand de prendre de mauvaises décisions.

Comme celles qui ont été prises en 2000 lors de la dernière réforme fiscale ?

Les verts se sont prononcés contre la réforme fiscale en 2000, année où le Luxembourg affichait un taux de croissance de 9 % et 40 milliards de francs de plus-value budgétaire (un milliard d’euros). Au lieu de créer un fonds souverain qui nous aurait permis de financer la diversification de notre économie, nous avons fait une grande réforme fiscale pour abaisser les taux d’imposition de 8 points de pour-cent pour les personnes physiques et 9 points pour les entreprises. À ce moment-là, je disais que c’était de la folie. Il nous faut enfin un large débat sur l’équité fiscale et la redistribution des richesses.

Connaissiez-vous l’ampleur des tax rulings ?

Nous savions tous que cette pratique existait et j’avais d’ailleurs posé plusieurs questions parlementaires à ce sujet, mais les réponses de Luc Frieden étaient toujours réservées. J’ai toujours eu des craintes qu’un jour tout cela explose. Je n’étais pas choqué, parce que j’ai lu un bon nombre de livres sur la fiscalité et je savais aussi que le ruling se pratique dans une majorité de pays. L’attaque en règle contre le Luxembourg a été violente, et quelque part malhonnête.

Le budget sera voté la semaine prochaine après une série d’amendements. Le document vous convient-il alors que vous avez combattu la règle d’or européenne « qui ne peut tenir lieu de stratégie économique », selon une motion que le groupe des verts avait déposée en décembre 2011 à la Chambre des députés, et que les ménages sont appelés à débourser plus pour équilibrer le budget ?

Oui, car nous avons un niveau d’investissement qui est très élevé. Je crois qu’une des erreurs de communication du gouvernement réside dans le fait qu’il n’a pas assez expliqué le corollaire des mesures prises. On aurait dû expliquer aux gens que nous avions besoin de cet argent pour investir et qu’ils seraient les bénéficiaires de ce retour sur investissement. Si demain, on crée des infrastructures comme des écoles, des routes, du rail ou de la recherche, c’est la population qui va en profiter. Quand je dis qu’il faut mettre fin à l’austérité, cela ne signifie pas qu’il faille laisser filer les budgets et accroître les dettes. On ne fait pas de dette pour consommer et faire des cadeaux électoraux mais pour investir dans l’avenir. Or l’Europe a comme logique de stopper l’endettement en général, ce qui étouffe l’investissement. Il faudrait d’ailleurs mieux analyser, dans le cadre du Semestre européen, l’origine des dettes des pays membres. Si elles vont dans le sens de donner une plus-value aux pays pour générer de la croissance et leur permettre de rembourser ces dettes, alors c’est positif. Mais Bruxelles ne fait plus cette différence avec tous ces mécanismes de la règle d’or. Il faut faire des corrections au niveau de la Commission et redonner une fonction régulatrice à l’État.

Après un an au gouvernement, les verts font figure, selon l’opposition, de grands gagnants de cette coalition. Qu’en pensez-vous ?

(Sourire). Je ne peux pas dire ça. Les verts sont restés ancrés dans leurs traditions. Nous avions un groupe parlementaire qui a bien travaillé sur les dossiers, qui a bien animé le parlement. Et nous faisons la même chose au gouvernement. Nous avons eu aussi beaucoup de courage sur certains dossiers, car nous nous sommes dit, dès le début, que c’était une chance d’être au pouvoir et qu’il fallait utiliser le programme de la coalition pour faire avancer les dossiers sur lesquels nous nous sommes concentrés. Ils font partie du programme commun. Ce qui différencie ce gouvernement par rapport aux précédents, c’est la solidarité. Nous sommes sur un même pied d’égalité et j’aime beaucoup travailler dans cette ambiance. J’avais déjà fait cette expérience au conseil communal de Luxembourg où j’ai vraiment bien travaillé avec Xavier Bettel. Nous avions dit dès le début qu’il fallait que l’on gagne ensemble et je pense que nous avons réussi. Aux élections de 2005, nous sommes passés [à Luxembourg] de 8,7 % à 17,33 % et nous avons fait notre entrée au collège avec les libéraux et, en 2011, à l’intérieur de la majorité, nous avons encore progressé, de 17,33 % à 18,45 %. Les libéraux et les verts étaient gagnants et c’est le résultat de ce travail d’équipe. Nous n’avons pas regardé la carte du parti pour établir un programme et c’est la même chose au gouvernement. Les dossiers qui ont été traités cette première année par le gouvernement s’identifient à mon parti, mais l’année prochaine, ce sera sans doute différent. À la fin, c’est le bilan de l’ensemble de ce gouvernement qui comptera.

Justement, dans la perspective des grandes réformes économiques et fiscales, l’opposition, toujours, prédit un éclatement de la majorité…

Dans l’opposition, certains rêvent que cette situation se produise, mais l’équipe est très soudée et nous allons faire encore beaucoup de choses ensemble.

La qualité de vie est un sujet qui vous tient particulièrement à cœur. Or la perspective d’un Luxembourg à 700 000 habitants effraie une grande partie de la population. Ne doit-on pas organiser un vaste débat sur la question ?

On a besoin de ce débat depuis longtemps. Mon idée était de le lancer à travers les plans sectoriels et d’une certaine façon, ce fut le cas. Nous avons eu cette problématique au niveau de la loi sur l’aménagement du territoire et nous avons perdu du temps à cause de ce problème juridique. Le débat sur l’aménagement du territoire continue et il est étroitement lié à cette vision du Luxembourg à 700 000 habitants. Mon intention est de continuer à discuter avec les communes. Mon ministère est en train de préparer un texte-cadre avec des questions essentielles autour de cette perspective. Je le remettrai au Parlement avec une demande de débat de consultation qui aura lieu au printemps. Je trouve très important d’avoir un débat public sur ce sujet et tous les partis devront se positionner.

Et la société civile ?

Ce débat au Parlement sera suivi par la société civile et il y aura des réactions. Nous allons organiser des forums et j’espère que certaines associations feront de même.

Quelle est votre ligne? Quel Luxembourg veut ce gouvernement ?

Notre ligne est claire. Nous n’avons pas peur d’un Luxembourg à 700 000 habitants, mais la question est de savoir comment organiser le pays. Si on le fait comme cela a été fait ces trente dernières années, cela ne peut pas fonctionner, car cela va à l’encontre de la qualité de vie, de la cohésion sociale. Il nous faut une meilleure planification, car le problème n’est pas le nombre d’habitants mais de savoir où on les loge. Justement, si je prends l’exemple du logement et des actuels plans d’aménagement général (PAG) des communes définies comme des pôles de développement, je constate que nous avons encore assez d’espace pour créer les logements nécessaires et accueillir des habitants supplémentaires.

Où par exemple ?

Pour citer un exemple parmi d’autres, nous avons ce projet commun entre la Ville de Luxembourg et l’État pour déplacer le stade de football à Kockelscheuer; la Ville va également déplacer son centre de recyclage et la caserne des pompiers. L’ensemble se situe actuellement route d’Arlon. Il s’agit là d’un terrain énorme qui est la propriété de la Ville de Luxembourg et, avec l’État, nous pouvons réaliser un superbe projet à cet endroit et surtout des logements abordables.

Les réunions de présentation des plans sectoriels vous ont-elles apporté un certain enseignement ?

J’ai été agréablement surpris par les avis des communes. Schuttrange, par exemple, a dit qu’elle ne voulait pas être commune prioritaire, qu’elle en a assez d’exploser, assez de cet accroissement excessif car elle n’arrive plus à financer ses infrastructures. C’est bien la preuve que nous avons besoin de mener ce débat et de revenir sur les bases de l’aménagement du territoire. Nous devons nous reconcentrer sur les grands centres de développement que sont par exemple Luxembourg, Esch-Belval, Dudelange, Differdange ou Ettelbruck/Diekirch. Ce débat a déjà été déclenché par le dépôt des plans sectoriels et nous devons parvenir, à la fin de cette législature, à adopter des règles de planification.

Les plans ne sont-ils pas là pour tout régler ?

Nous n’avons pas besoin de tout régler à travers les plans sectoriels et j’aimerais privilégier une approche du bas vers le haut. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons inclure dans d’autres lois et alléger les plans sectoriels. Le plan sectoriel qui est très important, c’est celui des transports. Il est très simple à définir, car nous réservons des couloirs pour les 15 ou 20 prochaines années. D’un autre côté, pour le plan sectoriel paysage, nous avons constaté aujourd’hui qu’il était plus facile de régler certaines choses à travers les lois sur la protection de la nature.

Au chapitre de la simplification administrative, il manque encore tout le volet environnement. Où en êtes-vous ?

Camille Gira [secrétaire d’État au Développement durable et aux Infrastructures] est en train de travailler sur ce volet et il est très impliqué dans le groupe de travail au sein du ministère de l’Intérieur. Nous aurons, je pense, une réforme qui ne va pas démanteler la législation sur l’environnement mais qui donnera plus de sécurité juridique, plus de prévisibilité et plus de transparence pour les entreprises. Je suis sûr que Camille Gira, qui est un homme de terrain, va trouver des solutions très pragmatiques qui seront présentées dans les prochains mois.

Entretien avec Geneviève Montaigu