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Danielle Igniti : “Le combat n’est pas fini”


Danielle Igniti, après plus de quinze ans à la tête du Planning familial, a passé la main.

Ce passage de relais s’est semble-t-il opéré dans la sérénité. Vous quittez le Planning familial avec le sentiment du devoir accompli ?

Danielle Igniti : C’est quand même un petit soulagement, car c’était une grosse responsabilité, mine de rien. Je retrouve aussi un peu ma liberté, car je représentais une institution : il fallait donc se comporter en conséquence, avoir un comportement responsable. Même si je ne suis pas quelqu’un qui se laisse dompter facilement! Mais j’ai quand même fait attention, car ce sont des sujets délicats.

En ce qui concerne la question de l’avortement, le combat semble être gagné. Une victoire pour le Planning ?

C’est aussi pour ça que je suis partie sans mauvaise conscience, car j’ai l’impression d’avoir accompli mon travail. C’est un sujet pour lequel je me suis beaucoup investie, même si, en cette matière, il faut toujours rester vigilant. Et puis, il faut dire que j’ai trouvé quelqu’un de très bien, en qui j’ai toute confiance, pour continuer le travail. Je crois qu’il est dangereux pour une association de s’accrocher à son siège… J’ai remarqué que je n’étais plus en phase avec la presse jeune, avec les réseaux sociaux que je ne maîtrise pas du tout. C’est quand même aux jeunes que l’on doit s’intéresser et il est important que le Planning ait un visage qui parle plus aux jeunes. Je ne suis, physiquement et mentalement, plus dans ces conditions, et le Planning n’est surtout pas là pour donner des leçons.

Vous faites partie d’une génération de féministes qui ont dû se battre pour leurs droits. La nouvelle génération n’a, elle, pas ce même vécu. L’approche est donc différente pour les jeunes femmes d’aujourd’hui…

Les jeunes femmes ne sont plus des guerrières, aujourd’hui, il faut prendre le pli de s’adresser autant à elles qu’aux hommes. Même s’ils sont réticents. Il est temps d’être un peu plus consensuelle, douce, diplomate même. Il y a des jeunes dans les people qui se revendiquent féministes, c’est une bonne chose. Je pense que le gros des femmes est un peu moins militant que nous, la génération de 68. Entre-temps, des combats ont été gagnés, donc, on se relâche. Je me souviens d’une députée qui m’a dit : « Mais qu’est-ce que vous voulez ? Nous avons tout ! ». Elle, peut-être, mais pas tout le monde! J’étais très étonnée d’entendre ce discours venant d’une femme. C’est une question d’égalité sociale aussi. L’accès à l’IVG pour les femmes fortunées n’a jamais été un problème. C’est plutôt un problème pour les femmes seules, en bas de l’échelle sociale. Et on le remarque de plus en plus au Planning.

La population a-t-elle changé au Planning ?

Il faudrait mettre en place des statistiques pour montrer au gouvernement qu’il y a de plus en plus de personnes en difficulté financière qui viennent au Planning. Beaucoup de femmes viennent chez nous faute d’argent. Il y a, par exemple, le problème des contraceptifs qui ne sont pas remboursés à partir d’un certain âge. Et c’est vraiment stupide, car l’avortement n’est pas lié à une question d’âge! La moyenne d’âge pour un avortement est de 26 ans. La prévention ne touche que les jeunes, mais ce ne sont pas les jeunes filles qui ont des problèmes de grossesse non désirée.

Il faudrait parler de ce problème, proposer une contraception plus variée que seulement le tout-pilule qui est quasi automatique pour les gynécologues. Mais les autres contraceptifs, à l’instar du stérilet, ne sont l’objet d’aucun remboursement. Pourquoi? Il y a des femmes dont le style de vie fait que le stérilet s’impose. Une pilule représente une sérieuse contrainte qui ne convient pas à tout le monde. On demande beaucoup aux femmes. D’abord, la contraception est encore de la responsabilité des femmes, ce qui est déjà scandaleux en soi, et ensuite, elles doivent être comme des machines : ne faire aucune erreur.

En cas d’erreur, la pilule du lendemain est accessible au Grand-Duché sans ordonnance…

La pilule classique Norlevo, que l’on peut prendre dans un délai de 72 heures après le rapport sexuel, était déjà accessible en pharmacie sans ordonnance. Depuis le 1er février, il y a aussi EllaOne, toujours sans ordonnance, qui est une pilule du lendemain qui agit jusqu’à cinq jours après le rapport, car elle est plus fortement dosée. Mais attention, elle n’est pas gratuite, elle est même assez chère. Et il faut bien faire la différence avec les pilules abortives : ces pilules dites du lendemain empêchent de tomber enceinte, ce qui est bien plus intéressant que d’aller jusqu’à l’IVG.

L’IVG est toujours difficile, ce n’est pas anodin du point de vue médical, mais aussi psychologique. Il faut tout faire pour prévenir cette intervention, même s’il faut être conscient qu’on n’arrivera jamais à zéro avortement, car je le rappelle : les femmes ne sont pas des machines.

Toujours à propos de l’avortement, vous aviez monté le collectif « Si je veux » il y a quatre ans. Depuis, la législation est devenue plus libérale, comme vous le demandiez. Pourtant, le combat ne semblait pas gagné d’avance…

On dit toujours que les politiques se valent tous, mais en matière de politique sociale, je dois reconnaître que les partis de gauche et les libéraux ont une autre vision du monde. La liberté de choix était quelque chose qui leur tenait à cœur et ils ont tenu parole, ce qui n’est pas toujours évident en politique. Chapeau. Un certain Jean-Claude Juncker nous avait promis la séparation de l’État et de l’Église il y a presque quinze ans et ce n’est jamais arrivé sous son gouvernement !

On est là aussi pour convaincre ceux qui ne partagent pas nos idées. Et on a quand même réussi à faire changer d’avis quelques politiques de la droite, à force d’arguments mais aussi grâce à notre travail. Ils s’y sont intéressés, sont venus voir et ont été convaincus par la qualité de notre travail.

Malgré la possibilité pour les médecins de délivrer des pilules abortives, le Planning va-t-il continuer à être le principal centre où se pratiquent les avortements au Luxembourg ?

À partir du moment où il faut que le médecin signe une convention avec le Centre hospitalier de Luxembourg (CHL) en cas de besoin d’hospitalisation pour la femme, il est peu probable que beaucoup de médecins en cabinet fassent cette démarche. Nous tenons des chiffres transparents, et sur toutes les IVG que nous pratiquons, nous envoyons aussi des femmes qui sont au-delà de la 12e semaine de grossesse à l’étranger, mais c’est une minorité. Cela montre que nous sommes aussi dans la prévention, nous réussissons à ne faire presque que des IVG médicamenteuses : cela veut dire que nous réagissons très rapidement. La loi est donc très bien comme elle est, il n’y a pas d’obstacle administratif, ce qui permet d’agir vite et d’être dans les temps pour l’IVG médicamenteuse. Celles qui ont dépassé le délai et qui doivent aller à l’étranger représente 1 % des IVG. C’est très rare.

Comment peut-on arriver à une baisse du nombre d’IVG au Luxembourg ?

Pour cela, il faut travailler sur notre conception de la contraception et être plus à l’écoute des femmes pour trouver des solutions qui leur conviennent. Et il faut aussi faire des efforts en ce qui concerne les remboursements. Il y a des femmes qui n’ont pas les moyens ou qui décident d’investir leur argent autrement. C’est bête, mais c’est comme ça. Mais après, cela coûte à l’État. À mon avis, il est plus intéressant de rembourser un contraceptif qu’une IVG. Mais cela se joue aussi au niveau de la caisse de maladie où de vieux messieurs voient plus d’intérêt à rembourser le Viagra, par exemple. C’est pour cela qu’il faut lutter pour l’égalité des sexes dans tous les domaines.

D’où vous vient cette soif d’égalité, cette volonté de combattre pour les droits des femmes ?

C’est sûrement dans les gènes! (Ellerit). Je viens d’une famille de militants. Dans mes souvenirs, le dimanche, mon grand-père portait le nœud des anarchistes avec son médaillon de Sacco et Vanzetti. Mon père était un syndicaliste engagé, j’ai été éduquée comme ça. On m’a dit depuis toute petite que pour avoir quelque chose il fallait se battre, s’engager. On développe ce genre de réflexe. On m’a toujours aussi appris à partager, même lorsque je devais donner mes jouets et que je n’en avais pas envie! J’ai développé un sens de l’engagement pour les autres.

Mais pourquoi cet engagement pour les femmes ?

Pour moi, c’est évident. Je ne peux pas supporter l’injustice, et cette injustice je l’ai vécue moi-même. Étant petite dans une famille d’Italiens, les garçons partaient jouer au foot après le repas avec le père, et moi je restais à la maison pour aider à la vaisselle. Jusqu’au jour où, encore petite, j’ai demandé à moi aussi aller jouer au foot ! Et puis, c’était dans l’air du temps, j’ai grandi avec toute cette génération de femmes telles que Gisèle Halimi, entre autres, qui avaient belle allure et qui la ramenaient !

Comment votre choix s’est-il porté sur Ainhoa Achutegui pour vous succéder ?

On s’est rencontrées à plusieurs reprises et le thème du rôle des femmes dans le milieu culturel s’est naturellement imposé. Elle m’a parlé de sa famille, notamment de sa tante activiste au planning familial au Venezuela. Et je lui ai demandé si elle ne voulait pas aller au-delà de ses tweets féministes sur la thématique du transgenre. C’est notamment un sujet qui m’intéresse, car ce n’était pas du tout connu quand j’ai démarré au Planning. Et c’est donc à force de discussions qu’elle a dit oui !

C’est un nouveau visage pour le Planning, celui d’une jeune femme qui est devenue incontournable au Grand-Duché. Quels seront les grands défis qu’elle devra relever ?

C’est une femme qui rassemble au Planning. Elle est multiculturelle, ce qui nous intéresse. C’est une femme engagée, ouverte, elle représente un beau message. C’est très positif pour l’association.

Nous sommes bien installés, les locaux sont bien adaptés, la situation financière est bonne et l’équipe, bien en place. Ce n’était pas le cas quand j’ai rejoint l’ASBL… Mais ce n’est pas fini, ce n’est jamais fini! Il n’y a qu’à voir en Espagne avec le changement de gouvernement. Il reste encore des dossiers en chantier, notamment ceux du remboursement de la contraception, de l’éducation sexuelle et affective. Et puis, il y a de nouveaux dossiers qui concernent la nouvelle parentalité : la PMA [procréation médicalement assistée], la GPA [gestation pour autrui], l’adoption. Le Planning va devoir prendre position sur ces questions. Il y a du boulot !

Entretien avec Audrey Somnard