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Les problèmes de l’Afrique ne sont pas démographiques


Des enfants à Madagascar.

Magaye Gaye est le président du parti politique sénégalais La troisième voie. Dans une tribune libre, il réfute l’argument  d’Emmanuel Macron selon qui le développement de l’Afrique est freiné par sa forte démographie.

Après la sortie regrettable du président français, Emmanuel Macron, établissant de manière surprenante un lien entre le boom démographique en Afrique «7 à 8 enfants par femme» et les difficultés de stabilisation financière des économies africaines1, c’est au tour des parlementaires de pays de l’Afrique de l’Ouest de marteler leur volonté de limiter les naissances*.

Ces deux déclarations prononcées en l’espace de quelques jours posent un problème notoire de communication avec deux scénarios possibles : premièrement, le président français a commis l’erreur ou a fait exprès, pour une question d’affirmation de leadership, de livrer au monde, de manière prématurée, les conclusions d’une nouvelle stratégie tendant à tester pour le développement des pays africains la solution de la limitation des naissances, avec comme risque principal de renforcer ainsi la conviction de citoyens africains comme nous, persuadés que la France tire les ficelles de certaines organisations multilatérales africaines.

Scénario 2 : les parlementaires ouest africains – et non fort heureusement les gouvernements, il faut le souligner – suivent de manière aveuglée, comme d’habitude, des solutions qui leur sont dictées de l’extérieur avec le risque de renforcer l’idée communément ancrée dans les esprits, de l’Africain irresponsable et indéterminé. Il est important de rappeler aux lecteurs que cette question de la limitation des naissances avait déjà été agitée en 2013 par l’ancien ministre français de l’Intérieur Manuel Valls qui, en insistant sur la «poussée démographique, et notamment africaine», avait conclu que celle-ci amènerait la France à devoir revoir sa politique migratoire, créant à l’époque un malaise à gauche.

Échec des stratégies de développement

Sur le fond, agiter la question du taux de fécondité comme solution au développement près de deux siècles après l’économiste britannique Thomas Robert Malthus, traduit un aveu d’échec des stratégies de développement pensées et dictées par le monde occidental depuis les indépendances. Vouloir résumer la persistance du sous-développement à une question de limitation de naissances procède d’une solution simpliste, réductrice et dangereuse. Il est à rappeler que l’économiste Malthus avait construit sa théorie économique de limitation des naissances en rapport avec un état d’esprit conservateur induit par sa formation religieuse. Aujourd’hui, en tant qu’économiste, et homme politique, nous exprimons nos réserves sur sa théorie pour trois raisons.

Première réserve : l’idée que la progression démographique (de manière géométrique) est plus rapide que l’augmentation des ressources (progression arithmétique), d’où une paupérisation de la population, est discutable. D’abord, les ordres de grandeur qualifiés de géométrique et d’arithmétique ne sont pas tirés de certitudes scientifiques. Ensuite, contrairement au XVIIIe siècle, les ressources ne se limitent plus uniquement aux aspects matériels et naturels, mais relèvent aussi de potentiels en termes d’innovations industrielles, de productivité agricole et de nouvelles technologies de l’information et de la communication qui sont de véritables déclencheurs de richesses.

Deuxième réserve : le potentiel démographique est devenu aujourd’hui non plus une contrainte mais un atout. Il constitue la demande en termes de consommation, représente l’offre en sa qualité de force de travail; spécifiquement dans les sociétés africaines, le nombre d’enfants peut représenter une «soupape de sécurité» en termes de retraite et de sécurité sociale.

La population africaine pourrait quadrupler

Enfin, troisième réserve sur les thèses de Malthus : dans un monde du XXIe siècle où les moyens de communication ont fini de transformer la planète en «gros village» avec des élans notoires en termes de solidarité, et où le religieux reprend sa place, des thèses tendant à culpabiliser les pauvres à qui il faut cesser toute aide, ou à remettre en cause le devoir sacré de procréation sont à proscrire. Un livre religieux universel, le coran, ne dit-il pas dans la sourate 17 verset 31 : «Et ne tuez pas vos enfants par crainte de pauvreté; c’est Nous qui attribuons leur subsistance, tout comme à vous. Les tuer, c’est vraiment, un énorme péché.»

Il est vrai que l’Afrique est le continent dont la population s’accroît le plus vite dans le monde. Afrique du Nord comprise, sa population pourrait quadrupler, passant de 1,2 milliard actuellement à 4,2 milliards en 2100, d’après le scénario moyen des Nations unies. Vouloir chercher les remèdes permettant de relever le défi du développement est une chose à saluer; cependant, il faut tout autant éviter d’opérer des jugements de valeurs sur le vécu sociétal et les valeurs civilisationnelles des peuples pour préserver la paix mondiale tant menacée.

Cette nouvelle politique que les décideurs essaient de distiller à petites gouttes rencontrera certainement des résistances socioculturelles. Certains verront un raccourci rapide vers la limitation de la polygamie. Si la Chine avec ses 1,3 milliard d’habitants est devenue un géant économique, elle le doit sans doute à son potentiel démographique. Il est aussi à souligner que 8 des 10 pays les plus peuplés du monde sont soient développés ou en émergence (Chine, Inde, États-Unis, Indonésie, Brésil, Nigeria, Russie et Japon). Par ailleurs, l’idée que l’augmentation de la population serait synonyme de chômage a été démentie par la baisse du chômage intervenue en France à partir de 1997 et avant même que les effets du ralentissement de la croissance démographique se fassent sentir. Dans la période 1975-2000, les deux pays qui ont créé le plus d’emplois, les États-Unis et le Japon, sont également ceux où la population a augmenté le plus en valeur relative.

Des difficultés purement économiques
En Europe, le processus de vieillissement en cours au niveau de la population crée un risque quant à la capacité à entreprendre et à innover qui sont des fondements de croissance importants en matière économique. Un pays comme la France avec un indicateur conjoncturel de fécondité qui s’établit à 1,93 enfant par femme en 2016, contre 1,96 en 2015, et 2 en 2014 arrivera difficilement à assurer le renouvellement de sa population, le seuil généralement admis étant de 2,1 minimum.

Quant à l’Afrique, la vraie origine de ses difficultés résulte à notre avis moins d’un taux de fécondité élevé que de facteurs purement économiques : (i) taux de croissance annoncés parfois peu conformes à la réalité; ces derniers reflètent difficilement les performances économiques du fait de mauvais choix de politiques économiques, d’un énorme gaspillage de ressources publiques, de statistiques erronées manipulées parfois pour des raisons politiques, de revenus financiers colossaux transférés hors du continent licitement sous forme de dividendes d’investissement ou illicitement (corruption); (ii) absence d’équité dans les stratégies d’allocation des budgets nationaux; (iii) prise en compte insuffisante d’un secteur informel entreprenant, innovant, fortement créateurs d’emplois dans les stratégies de développement économique; (iv) mauvaises politiques de décentralisation concentrant l’essentiel des activités économiques et des populations dans la capitale; (v) nombreux défis à relever en matière d’éducation, de formation professionnelle et technique pour mieux booster la qualité des ressources humaines.
Comment peut-on réduire la pauvreté dans un tel contexte de manque d’organisation et de méthode?

Magaye Gaye

Magaye Gaye est le président du parti politique sénégalais La troisième voie qu’il a fondée en 2015. Il se veut une alternative entre socialisme et libéralisme. Magaye Gaye est économiste, ancien de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et du Fonds africain de garantie et de coopération économique (Fagace).

* Emmanuel Macron a fait cette déclaration le 8 juillet en conférence de presse au sommet du G20 à Hambourg. Cette déclaration a suscité un tollé, particulièrement en Afrique. En 2016, le taux de fécondité en Afrique s’élevait à 4,7 enfants par femme contre 2,5 en moyenne dans le monde, donc loin des 7 à 8 enfants évoqués par Emmanuel Macron.